Les hommes et leurs secrets. « Quand j'ai découvert l'existence d'Edmond, je me suis précipitée sur cette voie de traverse dans l'espoir de faciliter le chemin vers l'élucidation de mon propre destin. Les détours m'ont toujours servi. Tout ne commence-t-il pas à la faveur d'une découverte fortuite, la conquête de l'Amérique comme les bêtises de Cambrai ? »
Pour la narratrice du Bel obscur, le beau nouveau roman de Caroline Lamarche (qui fait ainsi son entrée aux éditions du Seuil), cette révélation prendra la forme d'un coffre en bois oublié au fond d'un grenier. À l'intérieur, un dossier contenant un diplôme, deux photos et deux lettres, toutes relatives à un certain Edmond, lointain ancêtre de la narratrice, né à Liège en 1834, mort à Orléans en 1865, et absent, hormis ce dossier demeuré ignoré, de la mémoire familiale. Pourquoi cette absence, pourquoi cette ignorance ? La femme va mener l'enquête, troublée notamment par une des deux photos qui montre le jeune homme d'une beauté troublante, mais comme travesti, fardé... Elle interroge tous ceux qui auraient pu en avoir quelque écho à travers les décennies, et consulte également, avec un succès inégal, des médiums, astrologues, graphologues... Très vite, son trouble la met face à sa propre histoire, à celle de son grand amour pour et avec son mari, Vincent. Tout allait pour le mieux, c'est-à-dire le plus dissimulé, dans le meilleur des mondes conjugaux, quand Vincent lui a révélé son homosexualité. La vie ne fut plus jamais la même. Recommencée au prisme de cette révélation, elle fut affaire de chagrin mais aussi tout de même d'émancipation. Alors, Edmond, c'est aussi ça, revenir sur le motif, faire revivre les ombres. Edmond et Vincent, deux oiseaux de jeunesse, figures d'hommes éternellement perdus, unis par la paradoxale tendresse de cette femme qui ne sait faire autre chose que les aimer encore et déjà. Ne nous y trompons pas, le roman de Caroline Lamarche n'a pas vocation à illustrer de quelconques débats de société. La romancière belge est une écrivaine dont les livres, depuis le splendide Le jour du chien (Minuit, 1996), se confrontent tout autant à l'époque qu'aux fantômes qui sont la seule histoire de la littérature. Incontestablement un des sommets de son œuvre, ce Bel obscur, hanté par les ombres du souvenir, du secret et des douleurs tues, répond exactement au programme de son beau titre blanchotien. Une énigme pleine de nuit et de fascination.
Le bel obscur
Seuil
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 20 € ; 240 p.
ISBN: 9782021603439