6 avril > Roman Argentine > Martin Caparros

"La vengeance est une forme extrême du souvenir, une manière désespérée d’aviver une trace qui s’efface." Voilà ce qu’a compris Carlos, ancien membre des Montoneros, le narrateur de A qui de droit, le quatrième livre traduit en français de Martín Caparrós. Une maladie qui le condamne à brève échéance et la question en forme de provocation d’un compagnon de route devenu ministre poussent cet ancien militant d’extrême gauche, rescapé de la dictature militaire argentine, à activer un désir de vengeance laissé pendant trente ans à l’état de "concept". Repartant sur les traces de "ces années", il se met donc à enquêter sur les circonstances de la mort de sa femme Estela, enceinte de leur enfant, disparue en 1977 dans l’un des pires centres de détention du pays. Grâce au réseau de son ami politicien, il part à la recherche des derniers témoins, tortionnaires repentis, anciens camarades embourgeoisés. Et tout se resserre autour du curé très apprécié d’un village, à l’époque aumônier militaire dans la prison où, avec Estela, ont été torturés des dizaines d’opposants politiques. Un prêtre dont on sait dès les premières pages qu’il a été assassiné à 68 ans de plusieurs coups de couteau.

"Nous sommes la génération la plus ratée de cette longue succession de ratages qui constitue l’histoire argentine", rumine l’ancien militant amer. Quelle forme et quel sens donner à la vengeance ? Comment trouver une vengeance à la hauteur de la défaite ? Toutes ces questions n’auront pas de réponses tranchées dans ce récit plein du poison des comptes non soldés, tissé notamment d’une discussion imaginaire avec une Estela fantôme et de joutes contemporaines avec Valeria, une jeune femme d’une trentaine d’années qui le harcèle sur son passé militant. Entre eux, le fossé est immense. Elle lui renvoie sans ménagement la naïveté de l’engagement et de la cause - "cette histoire idiote que vous vous obstinez à faire passer pour héroïque" -, même si elle apprécie le certain recul dont il fait preuve. Il voit chez elle le calme plat de la résignation : "elle était de cette génération triste […] un troupeau d’excités malheureux qui n’avaient jamais connu l’excitation de changer le monde". V. R.

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