5 mars > Roman Yémen

Même avant de sombrer dans le chaos, déstabilisé par le terrorisme islamiste, le Yémen était un pays rigoriste, en particulier en ce qui concerne les femmes, et leur tenue. ‘Abaya, burqa, khimar, lathma, niqab, autant de voiles, de voilettes, voire de grillages, pièces du carcan noir imposé aux femmes par les hommes, sous prétexte de préserver leur pudeur, et ce dès leur plus jeune âge. Quitte à se livrer, eux, dans l’intimité, aux pires débauches.

Cette servitude, la narratrice de Femme interdite, dont le roman est présenté comme la "confession", l’a subie dès l’âge de 8 ans, de la part de son père. Chez eux, ni télé ni magnétoscope. Certes, on l’envoie à l’école, mais dans un lycée islamique, puis à l’université où elle étudiera surtout la religion. Sa situation la choque d’autant qu’elle est injuste : Raqib, son frère aîné, qui se revendique communiste, boit de l’alcool, blasphème et introduit des livres "interdits" au foyer. Tout du moins jusqu’à ce qu’il se marie, et devienne un tyran fanatique, un cheikh prêcheur, qui partira faire le djihad en Tchétchénie. Et sa sœur cadette, Loula, la chouchoute du père, est, elle, une parfaite dévergondée, qui jouit de l’impunité parce qu’elle nourrit la famille avec des gains acquis de façon peu orthodoxe, si l’on ose dire. Travaillant dans l’import-export, elle voyage beaucoup, s’offre à son patron, pose nue pour un peintre parisien… Et visionne en cachette, avec sa sœur, sur son portable, des scènes de "charivari", ou des "films culturels", bel euphémisme pour pornos.

La narratrice finira par se marier avec un ami de son frère, Abou ‘Abdallah, aussi pieux qu’impuissant, qui l’emmènera mener le djihad en Afghanistan, au prix d’une odyssée délirante, à l’aller comme au retour. Lui ne reviendra pas, et sa femme le répudiera, avant de se remarier à un vieux cheikh libidineux, et que sa famille entre enfin, les parents morts, dans une espèce de modernité. Mais elle ne connaîtra pas pour autant le bonheur…

Journaliste progressiste, essayiste, auteur du Beau juif, que l’on avait apprécié (Liana Levi, 2011), Ali al-Muqri nous offre ici un roman tantôt étouffant comme sous la burqa, tantôt plein d’humour grinçant, triste état de son pays, juste avant la guerre larvée qu’il subit aujourd’hui. Jean-Claude Perrier

13.02 2015

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