Ce mardi soir nous sommes tous Américains. Blancs et noirs, hommes et femmes, jeunes et vieux, Sénégalais, Maliens, Ethiopiens, Portoricains, Coréens, Français (en pagaille) et – évidemment - américains. A deux pas du fameux Apollo Theatre, au pied de la Fondation Clinton, en plein Harlem, nous pleurons, nous rions, nous nous embrassons et nous chantons à tue-tête devant le grand écran qui retransmet le discours d’Obama depuis Chicago : « Yes we can ! Yes we can ! » Tout est possible. Electeurs lecteurs.  Après les œufs sunny-side-up et les pommes de terre sautées du petit déjeuner, il fallait faire la queue plus de deux heures dans le bureau de l’Upper East Side où nos amis américains devaient voter. La foule reste calme même quand on lui apprend que les machines à voter viennent de rendre l’âme. Dans les files qui s’entrecroisent sur ce terrain de basket beaucoup d’hommes et de femmes patientent en lisant. Des journaux, bien sûr, mais surtout des livres. Eh oui, les cow-boys descendent de leurs chevaux pour entrer chez Barnes & Nobles. Les étudiants potassent leurs manuels, des femmes s’abiment dans l ’Alchimiste de Paulo Coelho ou Barefoot d’Elin Hilderbrand, un journaliste est plongé dans les épreuves de A Mercy , le dernier Toni Morrisson. Et (c’est Daniel Garcia va être content) j’ai même trouvé un jeune homme serrant dans sa main droite son livre électronique qui contenait, m’a-t-il expliqué, vingt titres. Même si son choix de candidat était fait, savez-vous ce qu’il lisait ? The audace of hope d’un certain Barack Obama! Les esclaves et les pauvres. C’est pourtant d’un autre livre, que j’ai fini à New York, dont je voudrai vous parler : Pourquoi êtes-vous pauvres ? de William T. Vollmann. Un grand, un très grand livre qui reprend à sa façon, aujourd’hui, un autre très grand livre Louons maintenant les grands hommes de James Agee et Walker Evans. Son tour du monde de la pauvreté est plus qu’un exploit, c’est un livre décent, incroyablement fort. Fort par son sujet, décent par son auteur qui ne cache rien de ce qu’il est, un auteur de romans et d’essais, un auteur de gauche. Mais aussi un auteur américain, blanc et donc « riche ». Et lorsqu’il parle des pauvres aux Etats-Unis, il parle bien sûr des Noirs. Il avoue qu’il lui « arrive d’avoir peur des hommes noirs grands et pauvres ». La responsabilité des blancs dans l’esclavage des noirs lui paraît évidente. Mais individuellement le problème se complique : ce n’est pas « la couleur de leur peau (qui me fait peur) mais parce que les Noirs pauvres sont souvent très pauvres ; leur pauvreté de Noir est une difformité non désirée, douloureuse, qui leur colle à la peau et dont ils essaient d’oublier l’existence non par l’hébétude, mais par la colère. » Dans le débat sur la repentance de la France pour la déportation des Juifs pendant la guerre certains se sont émus de cette démarche pour de mauvaises raisons. D’autres, tout en reconnaissant la nécessité d’un geste, ont rappelé que cela ne suffisait pas. Le pardon ne peut venir que des victimes, des victimes qui dans ce cas effroyable sont parties en fumée. Obama n’a pas pardonné aux Blancs le crime de l’esclavage, il leur a proposé un « vivre ensemble » où les Blancs seraient les égaux des Noirs ( 1 ). Laissant de côté la colère, permettant à la peur de reculer. Le plus bouleversant des slogans lancés mardi soir à Harlem et repris par tous ? « No more hate ! No more hate ! » Plus de haine. Ce n’est qu’un cri. Mais rien que pour cela cette élection restera dans l’histoire. ( 1 ) Lire De la race en Amérique , extraordinaire discours de Barack Obama à Philadelphie
15.10 2013

Les dernières
actualités