Adaptations

Cinéma/édition : les liaisons fructueuses

Emmanuelle Devos (à droite) est Violette Leduc et Sandrine Kiberlain (à gauche) Simone de Beauvoir dans Violette, le film de Martin Provost qui sort le 6 novembre. - Photo TS Productions/M. Crotto

Cinéma/édition : les liaisons fructueuses

Quai d’Orsay, Malavita, Au bonheur des ogres, Violette sont autant d’adaptations ou de « biopics » qui envahiront les écrans cet automne. Depuis quelques années, les relations entre les deux secteurs se sont consolidées. Une collaboration payante qui cherche désormais à s’ouvrir à l’international.

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Par Vincy Thomas,
Anne-Laure Walter,
Clarisse Normand,
Christine Ferrand,
Créé le 11.10.2013 à 19h48 ,
Mis à jour le 10.04.2014 à 09h50

L’histoire d’amour entre le cinéma et le livre tourne à la passion. Jusqu’aux fêtes de fin d’année, près de 40 adaptations sortiront sur les écrans. Le nombre d’options prises par les producteurs est à la hausse. Plus rare, une écrivaine s’invite aussi parmi les héroïnes cinématographiques de l’automne. Violette Leduc, et sa liaison compliquée avec Simone de Beauvoir, sera le sujet du nouveau film de Martin Provost (Séraphine), en salle le 6 novembre, coécrit avec René de Ceccatty, l’auteur de Violette Leduc : éloge de La bâtarde (Stock). Gallimard, Grasset et Stock profitent de la sortie dans les cinémas de Violette pour rééditer ses livres ou des essais autour d’elle.

Car, avec sa formidable puissance marketing, le cinéma est un partenaire idéal pour l’édition. Si aucune étude n’existe sur ce marché spécifique - la Scelf prévoit d’en réaliser une prochainement -, on a pu constater que L’écume des jours, Gatsby le magnifique ou Michael Kohlhaas ont dynamisé les ventes des livres dont ils étaient la déclinaison sur le grand écran. En 2012, le film de David Cronenberg a fait augmenter les ventes de Cosmopolis de Don DeLillo de 50 %. La nouvelle tendance aux « biopics » produit des effets similaires (comme avec Jappeloup). En BD, à l’exception des Beaux gosses de Riad Sattouf, l’impact est moins flagrant (Les profs, Boule et Bill), mais une sortie en salle profite à la « marque » sur la durée, comme pour Ducobu.

 

 

Argument commercial.

« Les adaptations ont toujours existé. Mais elles sont davantage médiatisées », reconnaît Christina Douguet, responsable du comité de lecture chez Gaumont. Le livre devient l’argument commercial pour un film, et inversement. Les relations marketing sont presque systématiques. Chez J’ai lu, une veille interne est mise en place pour connaître le calendrier des sorties et agir le plus en amont possible. « Pour un distributeur, cela permet d’étendre le marketing de son film à un autre support, le livre, dans d’autres lieux, la librairie », confie Jessica Boyer, responsable marketing chez J’ai lu. Quant au livre, il se retrouve dans les très populaires rubriques « cinéma » des médias écrits.

 

Le cinéma et l’édition travaillent de mieux en mieux car « le secteur est plus actif, plus encadré », affirme Christina Douguet. La négociation s’est muée en « collaboration ». Les rencontres Scelf de l’audiovisuel, au Salon du livre de Paris, ont fortement contribué à ce dialogue qualitatif. Elise Griffon, chargée de l’événement, y voit deux explications : « Désormais, éditeurs et producteurs parlent le même langage. Mais surtout, ils se connaissent de mieux en mieux. Il y a peu de changements parmi les responsables des cessions de droits chez les éditeurs, et les producteurs sont souvent les mêmes depuis quelques années. » Nathalie Piaskowski, directrice générale de la Scelf, admet que ce rendez-vous «a fluidifié les rapports ». Pour Violette, le producteur Gilles Sacuto (TS Productions) confirme avoir travaillé « main dans la main » avec Gallimard autour du droit de citation : « C’était table ouverte : on pouvait piocher dans ses romans avec un cadre tarifaire établi. »

Le « Protocole d’accord relatif à la transparence dans la filière cinématographique », signé en 2010 par 6 sociétés d’auteurs, un syndicat d’agents et 4 organisations professionnelles du cinéma, a aussi consolidé cette relation. Il a pour objectif de simplifier et d’harmoniser les contrats de production conclus entre auteurs et producteurs, et d’assurer ainsi une meilleure lisibilité du partage des recettes. Un site Internet pour optimiser la gestion de droits est en préparation.

 

 

Bibles.

Cependant, la multiplication des « speed datings » professionnels, l’accès à une meilleure information et une veille régulière ne suffisent pas. Proactifs, les éditeurs se dotent de « bibles » de mieux en mieux conçues et diversifient leurs déplacements : Cannes, Francfort, le Cartoon Forum, à Lyon, ou le Festival des scénaristes, à Valence. En juin, le Bief a organisé des rencontres entre 15 éditeurs français et 10 producteurs allemands. Au Festival de Berlin, le marché des droits littéraires attire de plus en plus de professionnels. « Il y a une relation de confiance qui s’est installée », confirme Frédérique Massard, responsable des cessions de droits chez Gallimard. Avec des producteurs devenus de bons lecteurs, « la proximité est plus grande, ce qui rassure les deux parties ».

 

Aux Etats-Unis, certaines sociétés n’hésitent plus à avoir un pied dans chaque secteur. Marvel Entertainment, filiale de Walt Disney, est ainsi éditeur de comics et producteur de films à (très) gros budget. The Weinstein Company (Le majordome) a distribué Intouchables aux Etats-Unis, mais aussi le livre d’Abdel Sellou, l’un des deux protagonistes du film, avec sa filiale Weinstein Books. Autre modèle, Random House possède une filiale qui finance des films adaptés de son catalogue.

On est loin d’une telle stratégie en France. François Pernot, directeur du pôle image de Média-Participations, rappelle que « les deux métiers sont différents et parfois divergents ». « Il faut que les valeurs du produit soient respectées tout en atteignant un autre public », précise-t-il. Thierry Lounas, directeur de Capricci, a adopté une logique de label multisupport, incluant donc le livre, au service de cinéastes. Mais les métiers de la maison ne se croisent pas automatiquement. « Ce qui nous intéresse, c’est la transversalité », souligne-t-il. Ainsi, la revue Sofilm, éditée par Capricci, va produire des documentaires.

Néanmoins, il y a peu de chances dans un proche avenir de voir des « deals » à l’américaine comme ceux que signent les studios américains pour le développement de franchises (Harry Potter, Hunger games…). Christina Douguet souligne qu’en France personne n’a les moyens d’investir dans plusieurs films à l’avance. Fidélité Productions a attendu le succès du Petit Nicolas pour lancer la suite. Si deux autres films sont prévus, ils ne seront confirmés qu’après la sortie du deuxième opus, en 2014. L’adaptation reste risquée, coûteuse, compliquée.

 

 

De 18 à 24 mois.

Il faut 18 à 24 mois au minimum pour développer un film à partir d’un ouvrage, selon Gilles Sacuto : « Les producteurs ont besoin d’options longues et renouvelables » pour que le film puisse exister. « Il vaut mieux se laisser du temps pour concrétiser un projet, ajoute-t-il, plutôt que de voir ce projet avorté parce que l’option tombe au bout de deux ans. » Il est aussi de plus en plus difficile de financer des films dont les devis sont « modestes ». Les contraintes sont accentuées par l’explosion du Paf et la « censure » des chaînes (comme vient de le rappeler François Dupeyron dans une tribune virulente reprise par Le Figaro du 17 septembre). Le fantasme d’un cinéma « milliardaire » ne doit pas faire oublier que le 7e art est une industrie fragile. François Pernot constate que « les obligations et les investissements des chaînes de TV diminuent ». « Le marché bouge. On doit s’adapter aux nouveaux formats, aux techniques innovantes, aux nouvelles méthodes commerciales », ajoute-t-il. Le développement du « transmédia » (utilisation combinée de plusieurs supports à travers un même univers narratif) et l’arrivée de nouveaux acteurs comme Amazon, YouTube ou Netflix perturbent la relation « normale », fondée sur la simple cession de droits. Cette conjoncture décourage certains éditeurs, qui préfèrent être directement sollicités par des réalisateurs ou des producteurs.

 

Conscients que le marché français ne suffit plus, tous regardent vers l’extérieur. Certains projets ne peuvent se faire qu’à l’étranger (intrigue, financement), à condition que les titres soient traduits. « Sur le plan international, tout reste à faire », avoue Nathalie Piaskowski. « Les producteurs étrangers sont plus difficiles à approcher, surtout si nous ne sommes pas recommandés », ajoute Frédérique Massard.

Le message a été entendu : à Cannes cette année, pour la première fois, un déjeuner réunissant des professionnels du livre et du cinéma a été organisé, en attendant un rendez-vous plus officiel ; la Foire de Francfort va débattre des synergies entre livres et films le 10 octobre ; enfin, le Bief et la Scelf viennent de créer un site web, FrenchBooksIntoFilms (1), qui sélectionne des titres français à destination des producteurs étrangers. La Scelf veut être en première ligne pour jouer les facilitateurs et valoriser l’adaptation. Car, comme le rappelle Nathalie Piaskowski, « le cinéma fait découvrir des ouvrages et promeut la lecture ». < V. T.

(1) Voir LH 962, du 23.8.2013, p. 54.

www.frenchbooksintofilms.org

Violette en avant-première

Pour Violette, qui sortira sur les écrans le 6 novembre, Martin Provost, le réalisateur de Séraphine, s’est une nouvelle fois penché sur les coulisses de la création, en s’appuyant sur la vie de la romancière Violette Leduc, auteure de La bâtarde, racontée par René de Ceccatty (Stock), puis par Carlo Jansiti (Gallimard). Le cinéaste nous promène dans le Saint-Germain-des-Prés des années 1950 et 1960. On y aperçoit Gaston Gallimard, Sartre, Genet, Camus et surtout Simone de Beauvoir (Sandrine Kiberlain), qui fut l’amie et la protectrice de Violette Leduc (Emmanuelle Devos). Les principaux écrits de la romancière seront réédités chez Folio au début de novembre, tout comme les biographies de René de Ceccatty et Carlo Jansiti. En partenariat avec la société de distribution Diaphana, Livres Hebdo offrira à ses abonnés libraires et bibliothécaires, des invitations aux avant-premières du film qui se tiendront à Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Nantes et Paris à la fin d’octobre. < C. F.

Olivier Sulpice : doublement gagnant

Photo OLIVIER DION

Quand Olivier Sulpice a une envie, il se lance. Il y a un an, alors que le film Les profs, adapté d’une série qu’il édite, est en plein tournage, le P-DG de Bamboo monte sa société de production. Novice, il se rend aux festivals de Cannes et d’Annecy, trouve des coproducteurs et engage les premiers projets, dont les adaptations des Gendarmes et d’Une nuit à Rome pour le cinéma. Le plus avancé est le dessin animé des Sisters, 52 épisodes de 11 minutes pour la télévision, en coproduction avec Samka. « Il y a beaucoup de projets et peu d’élus, explique-t-il. Mais arriver avec une BD qui s’est déjà vendue à deux millions d’exemplaires permet de passer le premier filtre et de rencontrer les chaînes. » Pour lui la production représente un investissement en temps plus qu’un engagement financier. Et si ça marche, il sera doublement gagnant : comme producteur et comme éditeur des livres, dont la vente se trouve relancée par un succès audiovisuel. < Anne-Laure Walter

Thierry Lounas : touche-à-tout

Photo CAPRICCI

Editeur, producteur, distributeur, Thierry Lounas touche à tous les métiers avec sa société Capricci, basée à Nantes. Des films de HPG ou d’Albert Serra (récent Léopard d’or à Locarno) aux livres sur George Cukor ou Béla Tarr, en passant par une revue et un magazine, la petite entreprise accompagne les auteurs et les films pour valoriser une certaine cinéphilie. Cet ancien des Cahiers du cinéma a développé un label transversal (et international avec deux filiales, au Royaume-Uni et en Espagne) qui regroupe des choix éditoriaux variés. Refusant tout dogmatisme, cet « artisan », comme il se définit, refuse l’industrialisation à outrance et préfère soutenir une création spontanée et une diffusion inventive : « Il faut savoir créer le désir. Il n’y a plus de nécessité à lire un livre ou voir un film. » Parfois les métiers se mélangent, comme dans la collection « Ecrire avec, lire pour » où se croisent cinq textes inédits d’écrivains et cinq réflexions de cinéastes. < V. T.

François Pernot : une bonne histoire…

Photo OLIVIER DION

« Manager lambda », François Pernot est entré chez Dargaud il y a près de vingt ans. Directeur du pôle « image » du groupe Média-Participations (l’édition de BD et Ellipsanime, Dupuis Audiovisuel, Dargaud Media…), il est à la tête de la première société de production de dessins animés en Europe. Le lien entre le papier et l’écran « procède d’une volonté très simple, qui existe aux Etats-Unis et au Japon : un grand personnage se décline naturellement au format audiovisuel ». Et il ajoute : « Une bonne histoire sur le papier reste une bonne histoire à l’écran. » Média-Participations conserve le contrôle de ses BD quand il s’agit d’un dessin animé. Cependant, le groupe n’a pas l’ambition de devenir un nouveau Marvel. « C’est un autre métier. » Pour Quai d’Orsay ou XIII, les cessions de droits sont suffisantes. Parfois, le groupe franco-belge fait une exception, par exemple en permettant aux producteurs de Largo Winch de bénéficier d’une niche fiscale belge. < V. T.

 

Librairie : l’effet bande-annonce

 

Les livres adaptés au cinéma sont présentés aux lecteurs avec un marketing renforcé. Les ventes suivent.

 

Des romans et une BD adaptés pour le grand écran (Fnac Montparnasse, Paris).- Photo OLIVIER DION

Depuis cinq-six ans, les livres faisant l’objet d’une adaptation cinématographique sont davantage marketés, observe Laurence Deschamps, chef de produit littérature à la Fnac. Les éditeurs impriment des bandeaux, rééditent les livres avec une nouvelle couverture… Pour les ouvrages du domaine public, c’est même à qui aura l’affiche du film. Et pour cause, ce sont ceux-là qui se vendent le mieux. » Et de citer l’exemple de L’écume des jours de Boris Vian dont les ventes, au sein de la Fnac, ont été multipliées par dix dans la foulée de sa réédition avec la référence au film en couverture.

Prolongeant l’action des éditeurs, l’enseigne joue aussi volontiers la carte des mises en place et, pour la prochaine sortie en salle début octobre d’Au bonheur des ogres, elle présentera le livre de Daniel Pennac dans des box situés dans divers points de passage du magasin «afin de susciter des achats d’impulsion ». Installant parfois les titres près des caisses, Anne-Sophie Thuard (Thuard au Mans) note que « le cinéma permet de dédramatiser la lecture et d’amener des non-lecteurs à lire. Dans les écoles, certains professeurs l’ont bien compris et en profitent pour prescrire des classiques faisant l’objet d’adaptations. Ainsi pour Gatsby le magnifique de J. Scott Fitzgerald, nos ventes vont presque doubler cette année ».

Pour Frédérique Franco (Le Goût des mots, Mortagne-au-Perche), les ventes liées à la sortie d’un film tiré d’une œuvre écrite sont toutefois « plutôt le fait de lecteurs. Ce sont les mêmes qui vont au cinéma et qui lisent. Pour autant, ils n’apprécient pas forcément la photo du film en couverture ».

En tout cas, la plupart des libraires s’accordent à reconnaître qu’un succès cinématographique dope souvent les ventes du livre auquel il se rapporte. En témoigne notre top 50 des meilleures ventes de 2012 avec pas moins de sept titres adaptés, dont L’amour dure trois ans de Frédéric Beigbeider, La délicatesse de David Foenkinos, La couleur des sentiments de Kathryn Stockett ou encore Hunger games de Suzanne Collins. Le poche, propice aux achats d’impulsion, est le rayon qui en profite le plus. C’est ainsi que Mille et une nuits a publié en juin Michael Kohlhaas de Heinrich von Kleist dans la perspective de la sortie du film en août.

Pour les libraires comme pour les éditeurs, une adaptation est l’occasion de faire revivre le fonds avec des ventes quasi équivalentes à celles d’une nouveauté. Cela a été le cas, ces toutes dernières années, pour Le parfum de Patrick Süskind, La route de Cormac McCarthy, De sang-froid de Truman Capote, Thérèse Desqueyroux d’Hervé Bazin… Chez Nordest, librairie parisienne proche du cinéma Louxor récemment rénové, Patrick Bousquet n’hésite pas à jouer l’actualité en proposant différents titres du fonds en lien avec la sortie d’un film. Ainsi pour Hannah Arendt, il a commandé plusieurs titres de l’auteure qu’il n’avait pas en stock et les a mis en avant sur table.

 

 

Avec le cinéma local.

Pour Pierre Morize (Liragif, Gif-sur-Yvette), « ce sont principalement les biopics qui, chez nous, ont un impact sur les ventes de livres car ils suscitent de la curiosité autour de la personne mise en scène. Les gens veulent en savoir plus. D’ailleurs, pour Séraphine, nous avons très bien vendu le livre de Françoise Cloarec ».

 

Conscients des liens naturels entre livre et cinéma, certains libraires vont plus loin et travaillent parfois sur des opérations ponctuelles avec le cinéma local, notamment en faisant écho à ses programmations… mais peu d’entre eux assurent une présence de livres sur place, contrairement à ce qui se fait parfois au théâtre.

< Clarisse Normand

 


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