Claire Messud, d'ici et d'ailleurs

Claire Messud, photographiée à Paris le 20 mars 2025 - Photo Olivier Dion

Claire Messud, d'ici et d'ailleurs

Pétrie de littérature et inspirée par le déracinement de sa famille paternelle, Claire Messud revient en cette rentrée littéraire avec le plus personnel de ses romans.

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Par Sean Rose
Créé le 10.06.2025 à 12h00

C'est un peu comme vouloir transporter de l'eau, de la mer au rivage, au creux de ses mains. » Claire Messud explique ce qui l'a motivée à écrire L'étrange tumulte de nos vies. Un sentiment d'urgence, un besoin de témoigner, maintenant que, « à part ma sœur et moi, tous ceux qui appartenaient à ce monde dans lequel je suis née sont morts ». Et de rattraper par les rets de l'écriture ces existences que la tragique Histoire a ballottées et que le fleuve de l'oubli était sur le point d'avaler... Avec ce nouveau roman, l'écrivaine américaine née en 1966 dans le Connecticut d'un père français et d'une mère canadienne signe la plus personnelle de ses fictions. Inspiré des mémoires manuscrits de son grand-père et de l'histoire de sa famille paternelle - des Français d'Algérie -, ce récit se déroule sur trois générations, dont celle de Claire Messud et de son alter ego, la narratrice cette odyssée des déracinés.

Des romans tressés d'événements réels et du récit intime de voix fictives, Claire Messud en avait déjà écrit. Les enfants de l'empereur (Gallimard 2008, repris en « Folio »), qui l'a révélée au grand public, dépeignait le destin de trois amis à Manhattan à l'époque de l'attaque des tours jumelles le 11 septembre 2001. Dans La vie après, il y avait une héroïne à l'ascendance pied-noir... « Mais elle n'était pas moi, précise Claire Messud, alors qu'ici, Chloe me ressemble avec des parents qui ressemblent à mes parents, d'origine pied-noir et canadienne. »

Le père de Claire n'évoquait jamais l'Algérie : en traversant l'océan, il avait tourné la page. Quant à la parentèle française, cette famille paternelle désormais rapatriée, « ils en parlaient toujours avec un certain fatalisme, » se rappelle la romancière. « C'étaient des gens très pieux, très catholiques, qui se pliaient à la volonté du Ciel. » Chez les Messud outre-Atlantique, « l'air qu'on respirait était international, pour mes parents le monde était passé à l'heure du cosmopolitisme ». Ne s'ancrer nulle part, donc. Les États-Unis, l'Australie, le Canada... Claire a pas mal bougé au gré des affectations de son père, cadre dans une compagnie pétrolière. À cause du poste d'attaché consulaire de son propre père, lui-même avait vécu à Beyrouth puis à Istanbul pendant la Deuxième guerre mondiale. Le Pérou, l'Éthiopie, le Sri Lanka... ce curieux du monde embarquait sa femme et leurs deux filles vers des destinations de vacances improbables, voire périlleuses, dans les années 1970. Pas qu'il n'en voulût rien savoir, l'interprète Claire Messud rétrospectivement, il aimait, au-delà des vicissitudes apparentes, à saisir « simplement la vie ». Cette attention-là, à la vie telle qu'elle va et nous traverse, « a fait de moi une écrivaine », reconnaît-elle.

L'Angleterre fut pour Claire Messud providentielle. C'est à l'université de Cambridge, la veille de ses 21 ans, qu'elle fit la connaissance d'un étudiant anglais - son futur époux et insigne critique du New Yorker James Wood. Le couple vit encore aujourd'hui à Cambridge... dans le Massachusetts. Finalement, avec son mari, Claire Messud a bien jeté l'ancre au pays de la littérature.

Claire Messud
L'étrange tumulte de nos vies
Christian Bourgois
Traduit de l’anglais (Canada) par France Camus-Pichon
Tirage: 5 500 ex.
Prix: 25 € ; 522 p.
ISBN: 9782267055191

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