Récits/France 7 novembre Henry de Monfreid

Un des rares défis qu'Henry de Monfreid ait ratés, au cours de sa longue (1879-1974) et rocambolesque existence, c'est son élection à l'Académie française, où il s'est présenté deux fois, dans les années 1960. Outre le plaisir d'y retrouver son vieux complice Joseph Kessel, dit Jef, qui fut son premier lecteur, le premier à l'encourager à publier ses journaux de bord et à l'introduire dans un milieu littéraire auquel il était parfaitement étranger (cela donna Les secrets de la mer Rouge, en 1932, l'un de ses chefs-d'œuvre), l'écrivain baroudeur aurait fait sacrément tanguer les bicornes, et souffler un coup de khamsin sous la coupole du quai de Conti. Surtout en ces années-là. Mais ces Messieurs n'ont pas voulu de lui. Dommage.

Il ne revient pas sur cet épisode dans Vivre libre, recueil savamment organisé par son petit-fils Guillaume, gardien de l'œuvre et de la mémoire d'Henry, qui peut se lire comme l'ultime autobiographie d'un homme qui a passé sa vie à la raconter durant plus de quarante ans. En 74 livres, précise-t-il fièrement à un moment. Celui-ci va s'y ajouter, composé de textes largement inédits, articles, nouvelles, lettres, extraits de son journal de bord.

On y retrouve un certain nombre de ses amis, comme le jésuite Pierre Teilhard de Chardin, rencontré par hasard et devenu un proche, grâce à qui il a « réactivé »  la foi de sa jeunesse. Teilhard, archéologue, fut l'hôte de Monfreid à Obock. Ensemble, avec l'abbé Breuil, paléontologue obsessionnel, et le professeur Wernert, « un brave type », ils ont traqué les peintures
rupestres en Ethiopie.

Ou encore Kessel, justement, envoyé spécial du Matin sur la piste de la traite des esclaves en Ethiopie, avec qui il navigua en mer Rouge. Il en tira un livre, paru en 1965. Il raconte également sa rencontre, gamin, à Paris, en 1890, avec Gauguin, que son père, George-Daniel, rentier et peintre amateur, a aidé en sauvant et passant l'un de ses tableaux, Le bateau (ou La barque), au marchand Ambroise Vollard.

Sinon, il est aussi question de sa vie de contrebandier de haschich, lui, le fumeur d'opium, de la façon dont il pratiquait son petit commerce, achetant la marchandise à Bombay et la revendant à des bédouins qui la transportaient à dos de chameau jusqu'au Caire. Ou encore de sa traque victorieuse d'un voleur de cargaison, des îles Hanish jusqu'aux Seychelles, en passant par Bombay, de nouveau.

C'est enlevé et passionnant, comme toujours chez Monfreid, qui avait bien lu son maître Loti. Comme lui, il se sentait chez lui en terres d'islam, et, converti, loin de « la méchanceté de la race blanche », déplorait que celle-ci ne rajoute à « tous les vices orientaux » sa propre corruption. Le vieux pirate avait du cœur, et, jusqu'au bout, a su emmener ses lecteurs à son bord. On est toujours flatté de repartir à ses
côtés, comme Kessel et tant d'autres.

Henry de Monfreid
Vivre libre : le testament spirituel d’un écrivain
Grasset
Tirage: 3 800 ex.
Prix: 20 euros ; 304 p.
ISBN: 9782246818854

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