6 SEPTEMBRE - ROMAN France

Alain Blottière- Photo CATHERINE HÉLIE/GALLIMARD

Tout, à première vue, sépare Nathan et Goma. Un collégien d'Issy-les-Moulineaux, mal dans sa peau depuis la mort de sa mère. Et un gamin des rues du Caire, orphelin de père et chassé par sa mère, réduit, pour survivre, à ramasser des cartons. L'un, afin d'échapper à un quotidien où rien ne l'intéresse, se fabrique de dangereux "rêves indiens" en pratiquant assidûment, et de plus en plus longtemps, le "jeu du foulard". Tandis que l'autre, combattant de la révolution sur la place Tahrir, rêve de vivre dans un pays libre, démocratique, bénéficiant des mêmes richesses que ces touristes qu'il voit défiler dans sa ville. Ces deux-là n'auraient jamais dû se rencontrer. Mais Alain Blottière, deus ex machina, veillait.

La famille de Nathan décide de partir quelques jours au Caire, emmenant Manon, sa copine. Bien sûr, il est content de partir avec Manon, qui semble attachée à lui, mais il se remet à peine d'un épisode qui le laisse désorienté : Raph, l'un de ses copains, lui a fait des avances explicites, et ils ont même partagé leurs plaisirs solitaires. Serait-il attiré par les garçons ? Goma, lui, ne se pose guère ce genre de question. Il aime les filles, espère un jour se marier et avoir des enfants. Mais en attendant, l'accès hors mariage à l'autre sexe étant sévèrement condamné dans les sociétés musulmanes traditionnelles, il prend du plaisir avec Yacine, le "petit pédé blond" ramasseur de plumes, qui finira en martyr de la révolution.

Un jour, sur les bords du Nil, où Goma faisait ses ablutions, Nathan le croise et succombe à sa beauté. Ils se baignent ensemble, se sourient, se frottent. Rien de plus. Mais le jeune Français est troublé. Il offre au petit paria son bien le plus précieux, son téléphone. Cette scène, furtive et pudique, est chargée d'une grande puissance symbolique : pour Nathan, c'est un baptême, mais aussi un sacrifice, un don de soi, et plus rien ne sera comme avant. A son retour, il se perdra de plus en plus dans son rêve, "indien" ou égyptien.

Goma, lui, fera l'amer constat que, révolution ou pas, les "hommes noirs", policiers ou soldats tortionnaires, n'ont pas disparu et que les pauvres sont toujours opprimés par les puissants. Pour oublier son chagrin, il ira voir la mer à Alexandrie, songeant à "Nata", son éphémère ami français, qui pense peut-être à lui de l'autre côté de la Méditerranée.

Le discret Alain Blottière partage sa vie depuis longtemps entre la France et l'Egypte, dont la civilisation, de l'Antiquité à nos jours, a irrigué toute son oeuvre. On se souvient, par exemple, du beau roman Si-Amonn (Mercure de France, 1998). Cette fois, à travers les destins croisés de ses deux jeunes héros, il traite du choc des cultures, des relations tumultueuses entre les valeurs orientales et occidentales. Roman-parabole, mais aussi récit d'initiation, subtilement construit, les deux histoires parallèles finissent par se rejoindre, même pour un instant, au bord du Nil.

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