Trois librairies centenaires 2/3

Coiffard : le bon choix au bon moment

La devanture de la librairie Coiffard en 1960 où elle fait encore maison de la presse et tabac. - Photo DR/LIBRAIRIE COIFFARD

Coiffard : le bon choix au bon moment

Créée à partir d'un débit de tabac et de journaux au lendemain de la Grande Guerre, la librairie Coiffard, à Nantes, s'est imposée comme une référence en s'appuyant sur une conception exigeante du service client qu'elle n'a cessé d'adapter. Second volet de notre série sur trois libraires centenaires. _ par Cécile Charonnat

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Par Cécile Charonnat
Créé le 29.03.2019 à 16h30

Une institution. Le terme, souvent galvaudé, colle pourtant parfaitement à Coiffard. Qu'il soit lecteur ou pas, qu'il la fréquente ou pas, chaque Nantais connaît au moins le nom de la librairie généraliste du 7, rue de la Fosse, sinon ses rayonnages en bois et ses fameuses échelles dignes d'un décor à la Harry Potter. « A Nantes, il existe un réel attachement à Coiffard », confirme Rémy Ehlinger, son actuel propriétaire. Cette affection et ce rayonnement ne se réduisent pas à la capitale des pays de la Loire. Cette année, pour évoquer le salon Livre Paris, le journal de 13 heures de TF1 a choisi de diffuser un reportage sur... le centenaire de Coiffard.

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Déjà sensible dans les années 1960, le phénomène confine à « la légende », analyse Marc Guillon qui dirigea la librairie de 1979 à 2013. « Coiffard a toujours été une grande et belle entreprise dont la réputation dépasse son poids économique », souligne-t-il. Coiffard doit cette reconnaissance auprès des clients comme des professionnels du livre à une poignée de préceptes et de fondamentaux que ses dirigeants successifs - seulement quatre en un siècle ! - ont su conserver, à commencer par le service au client. Celui-ci est assuré par un personnel nombreux, qualifié et grand lecteur. « C'est la marque de fabrique de Coiffard qu'aucun de nous n'a trahie, souligne Rémy Ehlinger. Au contraire, nous avons tous veillé à l'adapter à l'évolution des modes de consommation. »

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Un organisme vivant

Adaptation et capacité à se renouveler constituent l'autre force de Coiffard, qui lui ont permis de s'installer durablement parmi les 50 premières librairies de France selon le classement annuel de Livres Hebdo, et de résister à l'arrivée de la Fnac et d'Amazon. « Tout au long du siècle, chacun des propriétaires a su faire les bons choix au bon moment et donner aux gens ce qu'ils avaient envie de trouver. Loin d'être un long fleuve tranquille, la librairie est un organisme vivant que nous nous sommes employés, chacun à notre manière, à adapter à son environnement », observe son patron actuel. Et s'il célèbre en grande pompe les 100 ans de Coiffard, c'est pour raconter l'histoire de cette perpétuelle réinvention. « Certes, on ne vit pas sur une histoire, il faut savoir la faire fructifier. Mais elle constitue la pierre sur laquelle on bâtit l'église », plaide Rémy Ehlinger.

L'aventure commence au 10, rue de la Fosse, à un jet de livre de l'emplacement actuel de la librairie. Mobilisé en avril 1915, à 19 ans, Achille Coiffard, pâtissier de formation, revient de la Première Guerre mondiale en 1919 avec « une concession de tabac accordée par l'Etat à chaque survivant de la guerre », raconte Marc Guillon. Accompagné de sa première épouse, il ouvre une petite boutique dans laquelle, très vite, la presse puis les livres prennent place. La légende veut que ce fils d'un sabotier et d'une ménagère, gazé en 1917, ait découvert la lecture lors de sa convalescence. Quelques années plus tard, à l'écoute de l'air du temps, Achille Coiffard installe un salon de lecture. Progressivement, il met en avant les beaux livres, qu'il affectionne particulièrement. Le dimanche matin, il expose même ses livres d'art dans son magasin.

Bénéficiant d'un sens aigu des affaires - il « n'aimait pas quand un client repartait sans rien », se souvient sa seconde épouse, Madeleine Coiffard -, Achille Coiffard met sur pied une activité de grossiste. La librairie Coiffard devient le fournisseur de nombreux points presse et de petites librairies de la région nantaise. Cela permet à son créateur d'acheter les livres en grande quantité et de bénéficier d'excellentes conditions commerciales. Grâce à cette activité très rentable, la librairie se développe. A tel point qu'en 1939 Achille Coiffard rachète la parfumerie Sarradin, au 7, rue de la Fosse. Aujourd'hui, le local abrite le Tome 1, consacré à la littérature, aux beaux-arts, aux sciences humaines et aux livres pratiques.

Pochothèque

La Seconde Guerre mondiale, à laquelle Achille Coiffard échappe en raison d'une lésion au poumon, lui amène un potentiel successeur. Son gendre, André Blanchard, rejoint la librairie en 1944. Malgré des rapports assez froids entre les deux hommes, André Blanchard en devient le directeur en 1965. On vend alors chez Coiffard, qui se déploie sur 140 m2, de la littérature, des beaux livres, et un peu de jeunesse. Le scolaire est laissé à la concurrence. Une bonne dizaine de milliers de références sont proposées au lecteur et le « débit est assez important, tout comme la trésorerie. On pouvait acheter un tirage entier d'un livre », se remémore Marc Guillon. Déjà, des auteurs, comme Hervé Bazin, viennent signer leurs ouvrages, provoquant des queues qui « s'allongeaient presque dehors », témoigne Madeleine Coiffard.

Homme de terrain et de contact, qui goûte peu les aspects techniques du métier, André Blanchard cultive les fondamentaux qu'Achille Coiffard avait instaurés : une offre importante et un personnel compétent. Sa politique commerciale se résume à cette maxime : « Chez Coiffard, on n'est pas bien reçu, on est reçu. » Un principe que Marc Guillon fait sien. Arrivé en 1967 comme homme à tout faire, parti en 1973 pour devenir représentant chez Hachette, il s'associe à André Blanchard en 1979 afin de reprendre la librairie. Il impulse alors une nouvelle dynamique, créant, l'année suivante, une pochothèque. « C'était assez innovant à l'époque, mais je savais, pour avoir fait le tour de France des librairies quand j'étais chez Hachette, que c'était une idée de génie », se félicite l'ancien patron.

En 1990, Marc Guillon rachète la pâtisserie installée au n° 8, en face de la librairie, pour agrandir la pochothèque et développer la jeunesse. Ce sera le Tome 2, qui lui coûte la rondelette somme de 1,2 million de francs. « Mais le chiffre d'affaires a explosé », pointe Marc Guillon, dont les yeux pétillent encore de plaisir. Seize ans plus tard, il inaugure l'Annexe. Installée à l'étage du Tome 2, l'espace est d'abord consacré au graphisme et au design avant d'accueillir, grâce à Rémy Ehlinger, la bande dessinée.

Aller vers les gens

En place depuis 2011, l'actuel directeur poursuit la dynamique encouragée par Marc Guillon. Sans rien céder aux fondamentaux de Coiffard - le nombre d'employés a grimpé de 14 à son arrivée à 21 aujourd'hui, et le nombre de références a bondi de 40 000 à 65 000 pour 100 000 volumes -, Rémy Ehlinger a fait entrer la librairie dans le XXIe siècle. Il a notamment créé une identité graphique, inspirée par les fameuses échelles toujours présentes dans le magasin. Il a agrandi le rayon jeunesse, démultiplié les rencontres et poussé Coiffard hors de ses murs, jusque sur les réseaux sociaux. « L'idée reste d'aller vers les gens, mais aujourd'hui, on doit le faire sur une multitude de supports », estime le libraire.

Etalées sur l'année, les festivités du centenaire, parrainées par Amélie Nothomb, obéissent au même principe. « Nous nous devions de répondre à l'envie des Nantais de marquer ces 100 ans », explique Rémy Ehlinger, qui reconnaît s'être laissé gagner par le plaisir de l'anniversaire. Avec l'agence Apapa Rosenthal, il a concocté 100 événements parmi lesquels l'installation de cabines téléphoniques pour découvrir les livres audio ; une librairie éphémère sur l'île de Nantes ; un parcours littéraire autour des auteurs nantais ; des concours de pâtisserie, de photos et de nouvelles, ainsi qu'une Nuit du siècle, prévue le 6 juillet. De quoi rappeler aux Nantais que la centenaire a une santé de fer, et qu'elle est bien décidée à rayonner sur les cent prochaines années.

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