25 septembre > Récit états-Unis

Saïd Sayrafiezadeh- Photo BASSO CANNARSA/CALMANN-LÉVY

Mahmoud Sayrafiezadeh, professeur de mathématiques iranien et opposant au régime du Shah, a fui son pays en 1957 à la faveur d’une bourse d’études pour les Etats-Unis. A Minneapolis, puis à New York, il a créé le Parti socialiste des travailleurs, qu’il anime et où il milite corps et âme, afin de préparer cette révolution mondiale, ce « grand soir » où les « prolétaires de tous les pays » s’uniront enfin, y compris en Amérique. Vaste programme…

Fanatique, Mahmoud a entraîné toute sa famille dans son combat : sa femme, Martha Harris, une Juive d’origine plutôt bourgeoise, et leurs trois enfants : Jacob et Jemilah, les aînés, qui prendront quand même assez vite leurs distances, et Saïd, le petit dernier, le narrateur. Tout en l’aimant à sa façon, son père ne s’occupera quasiment jamais de lui, d’autant que, dès 1979 et la révolution de Khomeyni, il est retourné dans son pays. Au début, il a cru aux promesses « démocratiques » de l’ayatollah et des mollahs. Il a même été candidat à la présidence de la République islamiste ! Piteusement battu, inquiété, un temps emprisonné, il s’en est retourné aux Etats-Unis, demander le divorce et continuer de militer, jusqu’au bout, pour la « lutte finale ».

Saïd, donc, a été élevé par sa mère, aussi extrémiste que son mari, la dépression en plus. Par solidarité de classe, elle a contraint son fils à vivre dans des taudis du ghetto de Pittsburgh, ou à Brooklyn avant que le quartier ne se boboïse. Il a fréquenté des écoles médiocres, où ses différences l’ont isolé de ses camarades : mal nourri, mal fagoté, privé de tous les biens de consommation de la société moderne (dont ce fameux skateboard auquel le titre du livre fait référence), endoctriné par les idées de ses parents et n’osant jamais les contester, il s’est construit vaille que vaille, surtout après que sa mère, lorsqu’il a eu 16 ans, s’est enfin décidée à démissionner du PST, et qu’ils ont pu mener une vie à peu près normale. Plus « bourgeoise », moins artificiellement pauvre. Ensuite, il a trouvé du travail, rencontré Karen et commencé à écrire, comme son oncle maternel, Mark Harris, romancier riche et célèbre, comme Martha aussi, mais, elle, sans succès.

La quarantaine venue, Saïd Sayrafiezadeh a décidé de raconter cette histoire, son histoire si peu banale, sans aucune acrimonie, et même avec de la tendresse pour ce père infernal et cette mère torturée qui lui ont malgré tout pourri son enfance. Sa performance, c’est d’être parvenu à se remettre dans la tête du gamin, puis de l’ado qu’il a été, un brave garçon plutôt tranquille et philosophe qui s’est accommodé de son sort tout en conservant son quant-à-soi, sa lucidité, son humour à froid. Cela donne un récit autobiographique pince-sans-rire, très réussi, riche en scènes totalement farfelues, dont la leçon pourrait être : « tout le monde n’a pas la chance d’avoir des parents capitalistes ». Un Woody Allen pourrait en faire un film épatant.

J.-C. P.

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