Il n'est pas (encore) traduit en France, son nom est (encore) inconnu du grand public même dans son pays (les Etats-Unis), mais pour certains, et ils sont de plus en plus nombreux, Tao Lin est « le » grand écrivain de l'ère Internet, qui ne va plus tarder à «  cartonner  ». Tao Lin serait rien moins que «  the next big thing in the hipster lit  » (la prochaine grosse révélation de la littérature branchée), assure Salon , un webzine influent de San Francisco qui a publié sur lui un grand article au mois d'août dernier, que rapporte Courrier International dans sa livraison de cette semaine. Appâté par ce papier, j'ai mené ma propre enquête sur le Net, et j'ai pu constater, en effet, que Tao Lin s'était attiré l'admiration d'une communauté de fans qui ne demande plus qu'à exploser en nombre. Au mois de septembre, The Stranger , le principal magazine de Seattle (la Mecque des branchés d'Amérique du Nord) n'a pas hésité à plagier la fameuse couverture du Time de cet été qui intronisait Jonathan Frazer comme le plus grand écrivain américain du moment : même typo, même titre-slogan («  American best novelist  »), même traitement de la photo... sauf que la tête de Tao Lin remplaçait celle de Jonathan Franzen. Quant au magazine New York , c'est simple : son critique littéraire patenté a qualifié Tao Lin de «  nouveau prodige de la littérature  ». Précisons que d'autres le détestent dans les mêmes proportions, ce qui prouve qu'il ne laisse pas indifférent. Né en 1983 de parents d'origine taïwanaise, Tao Lin vit à New York, et n'a pas d'autre ambition de carrière que de «  se foutre en l'air avant 40 ans  ». On conviendra que ça manque cruellement d'originalité, mais n'oublions pas non plus que ce programme nihiliste a été à l'origine de beaucoup de révolutions esthétiques. Il a commencé par écrire dans des revues littéraires et des publications en ligne, et son premier livre édité fut un recueil de poèmes. En 2009, son cinquième livre, Shoplifting from American Apparel (littéralement : « Piquer des fringues chez American Apparel », une marque très mode), fut très proche de percer dans les listes de meilleures ventes. Peut-être décrochera-t-il la timbale avec le sixième, Richard Yates , qui vient de paraître (chez Melville House). Quoi qu'il en soit, Tao Lin s'attire aujourd'hui la curiosité de tout ce qui compte dans le milieu de la critique littéraire américaine. Et ses fans publient, sur le site d'Amazon, de longs billets dithyrambiques pour recommander sa lecture. Que raconte Tao Lin, dans ses romans ? En gros, rien. Et le style est à l'image du contenu : dépourvu de tout effet littéraire. Mais ce rien renvoie à la génération des 20-30 ans urbains l'exact reflet de ce qu'ils sont au quotidien : hyper connectés, terriblement lucides, mais en même temps constamment déprimés et totalement impuissants face à la vacuité de leur destin. Dans le même numéro déjà cité, Courrier International publiait en prime le début de Shoplifting from ... et il y a quelque chose d'hypnotique à lire Tao Lin : ce perpétuel va-et-vient entre le virtuel (tous ses personnages jonglent en permanence entre leur mail, Facebook, leur portable, etc.) et le réel (des dialogues fatigués, où le « Je sais pas  » s'impose comme un leitmotiv lancinant). En même temps, ses personnages sont obsédés de littérature : «  Quand je parle à quelqu'un, explique l'un d'eux, je me dis : ‘'Est-ce que je peux utiliser ce dialogue dans un livre ?'' Si la réponse est non, j'essaie de parler à quelqu'un d'autre.  » C'est d'ailleurs ce qui me paraît le plus enthousiasmant chez Tao Lin : cette façon de mettre en scène une faune à son image, de bohèmes branchés et hyper connectés, voire un rien déjantés, mais qui ne jurent que par la littérature. C'est la preuve de la vitalité du roman, et que de nouveaux courants émergent, comme émergea le Romantisme au XIX e siècle, avec la postérité qu'on lui connaît. Last but not least, Tao Lin est bien l'enfant de son époque. Il a développé sur Internet une stratégie de l'autopromotion qui ne manque pas d'originalité. Ainsi, pour financer l'écriture de Richard Yates , il avait mis en vente sur Internet des parts de ses droits d'auteurs à venir, au tarif de 2 000 dollars la part. Il a quand même récolté 12 000 dollars ainsi ! Et il gagne environ 700 dollars par mois en proposant sur son blog des concours farfelus, mais destinés à le promouvoir. Dernier concours en date : réussir à prononcer « Richard Yates » en public, et provoquer la curiosité d'au moins trois personnes, au point qu'elles changent significativement d'attitude... quelques jours plus tôt, il fallait deviner, à partir de l'enregistrement vidéo d'une lecture publique dans une librairie new-yorkaise, quelle drogue l'auteur avait prise avant de venir. Réponse : des champignons hallucinogènes.
15.10 2013

Les dernières
actualités