Stricte. Élégante. Blazer noir, col roulé gris, jeans, mocassins, dans la brasserie hors d'âge de ce 20e arrondissement où désormais elle fait étape entre deux voyages et plus de fugues encore, Constance Debré est aussi chic et sans concessions malvenues à la mode que son écriture. Plus on la voit, plus on l'écoute, plus on la lit surtout, plus on se laisse à penser qu'il y a autour d'elle et de ses livres comme un vaste malentendu. La punk de bonne famille (famille dont elle parle d'ailleurs plus volontiers qu'on ne l'aurait pensé, sans se départir d'une troublante tendresse un peu navrée) n'est radicale que par son jansénisme. La vraie piste pour prétendre la comprendre ne sera donc pas celle-là, pas plus que l'affirmation de sa liberté ou de son homosexualité, non plus que son goût supposé pour l'autofiction (ses livres d'ailleurs n'en sont jamais vraiment). C'est du côté de la loi qu'il convient de chercher. Si l'on avait pu croire que cette ancienne avocate avait quitté le barreau pour rejoindre la littérature, à mieux y regarder, c'est sans doute plus compliqué que cela. Après tout, elle dit elle-même que l'avocat pénaliste et l'écrivain ont toujours le langage en commun. Prenons ainsi cet ouvrage de saison, Protocoles, texte tendu à l'extrême, impressionnant de justesse. Pour Constance Debré, il y est toujours question de l'appréhension du monde par le biais de la loi, de « la froideur, l'objectivité nécessaires pour s'approcher des questions extrêmes de la condition humaine ». Ici, la peine de mort et plus précisément les conditions de son application (dans de nombreux États américains). Les corps suppliciés... Le tout mélangé avec des stances épiphaniques et plus ou moins amoureuses où quittant l'enfer carcéral à la Jérôme Bosch, l'autrice s'en va plutôt fureter du côté de l'hédonisme solaire d'une Eve Babitz. Même si, dit-elle, « le but n'est pas que de plaire », elle ne se l'interdit pas tout à fait. Ce qu'elle vise surtout, en appelant à ce propos Pierre Guyotat ou Dennis Cooper, « c'est que la littérature soit pornographique ». C'est-à-dire, la penser toujours à son point le plus extrême. Cela vient de loin, de l'adolescence sans doute. De ce moment où périssant d'ennui au lycée Henri IV, hormis lors des cours de maths, la jeune Constance passe directement de la lecture de Tintin, Gaston Lagaffe ou Philémon à celle de Pascal et de Proust (aujourd'hui, ce serait, avoue-t-elle, le cardinal de Retz). Leur fréquentation, celle plus tard de Dostoïevski et Camus, selon ses termes « mâles blancs, mais attachés à la condition humaine », la détache à jamais de la croyance puérile en la figure du « monstre ». Et la rapproche d'une autre figure qu'elle dit « géniale », celle du Christ... Ramener les questions philosophiques à la matérialité de nos vies sera donc son beau souci, sous la robe de l'avocate ou après, par la plume. Elle cite Cambacérès : il faut « écrire comme un témoin qui dépose ». Ce sera sa ligne d'horizon. Elle s'avoue tout de même de moins en moins perdue dans l'existence, grâce au travail. Et cette grande nageuse devant l'éternel d'ajouter au-dessus d'un ultime café : « Écrire, c'est comme quand je nage, je fais ce que j'ai à faire. » Et de partir. Retrouvée. Olivier Mony
Protocoles
Flammarion
Tirage: 16 000 ex.
Prix: 19 € ; 140 p.
ISBN: 9782080436542
