Avant-critique Roman

Cormac McCarthy, "Le passager" (Éditions de l'Olivier)

The writer Cormac McCarthy (USA), Santa Fe, New Mexico, August 12, 2014. Photograph © Beowulf Sheehan beowulf@beowulfsheehan.com - Cormac McCarthy by Beowulf Sheehan - Cormac McCarthy by Beowulf Sheehan - Photo © Beowulf Sheehan

Cormac McCarthy, "Le passager" (Éditions de l'Olivier)

Après quinze ans de silence, Cormac McCarthy publie enfin son onzième roman, Le passager, peut-être le plus mystérieux et mélancolique de ses livres.

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Par Olivier Mony
Créé le 01.03.2023 à 09h00

La tristesse de Bobby Western. Voilà un livre que l'on attendait depuis si longtemps que l'on avait fini par oublier l'espérer. Quinze ans. Une paille. Quinze ans à se demander (à le craindre aussi) si La route resterait ou non l'ultime legs romanesque du grand Cormac McCarthy. De temps en temps, des rumeurs (« Il y travaille », « il y songe », « il est un peu découragé »...) et puis rien, si ce n'est l'âge... Alors voilà, qu'on se le dise, l'auteur de La trilogie des confins a 89 ans et il publie aujourd'hui en France Le Passager, son onzième roman. Et il ne faudra attendre cette fois-ci que deux mois pour lire le suivant, puisque c'est d'un diptyque qu'il convient de parler et que Stella Maris, le prequel du Passager, sera publié début mai. Ne cherchons pas plus loin l'évènement de cette fin d'année littéraire.

De quoi s'agit-il cette fois-ci ? Comme toujours chez McCarthy, d'un homme, de sa solitude, de son silence, de son chagrin. Il s'appelle Bobby Western (tout un programme), c'est un plongeur spécialisé dans la récupération d'objets ou de corps engloutis tout le long du golfe du Mexique. Homme de peu de mots, il ne se sent jamais mieux et plus lui-même que dans ce monde du silence qui l'accueille. Deux fantômes familiers l'accompagnent : celui de son père, qui travailla auprès des physiciens qui conçurent la première bombe atomique, et surtout celui d'Alicia, sa sœur, suicidée dix ans auparavant (qui sera l'héroïne de Stella Maris). Le jour où Bobby plonge pour retrouver l'épave d'un avion disparu en pleine mer et ses passagers, où d'étranges agents de quelque officine d'État ou prétendus tels, lui rendent visite pour lui signaler qu'il manquerait un corps parmi les huit retrouvés, Bobby pressent que la fragile paix de son existence est brisée à jamais. Amateur de mécanique, ancien pilote automobile de Formule 2 en Europe, Western voit sa Maserati Bora de 1973 saisie, comme ses comptes en banque. De la Nouvelle-Orléans aux plages d'Ibiza, fuyant il ne sait quoi si ce n'est lui-même, il erre, poursuivi en premier lieu par sa mémoire. Il vagabonde à travers le pays sans but, sans relâche, promenant sa mélancolie et sa vague culpabilité de survivant.

Ces lignes ne sont rien d'autre qu'une vaine tentative d'épuisement d'un vaste et terriblement mystérieux roman, rétif par nature à tout résumé, à être réduit à ses éclats de fiction. On ne résume pas un roman de McCarthy surtout lorsque, comme c'est ici le cas, le romancier s'ingénie à ne pas dissiper ses tours de magie, et même à en rajouter à l'envi. Et si la dimension métaphysique du récit ne saurait être ignorée, peut-être conviendrait-il d'abord d'en souligner l'intense charge poétique presque baudelairienne. C'est un cauchemar dont il est question, mais un cauchemar merveilleux, un vaste et lent cauchemar à la manière, un peu, des plus beaux films de David Lynch. Qu'importe la vraisemblance, ce qui compte ce sont les élans brisés du cœur, une émotion oubliée, l'infinie tristesse d'un homme. Où ? Quelque part. Sur notre épaule.

Cormac McCarthy
Le passager Traduit de l'anglais (États-Unis) par Serge Chauvin
Éditions de l'Olivier
Tirage: 40 000 ex.
Prix: 24,50 € ; 544 p.
ISBN: 9782823619676

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