Photo © ANTOINE MÉNARD

Arriver jusqu'à lui se mérite. Après Lausanne, le visiteur passe Vevey et Montreux. A Aigle, un tortillard grimpe ensuite, à pic et à petite vapeur, jusqu'aux Diablerets. "C'est alpin", reconnaît avec humour l'homme venu vous accueillir à la gare, à 1 300 mètres d'altitude. Dessinateur, scénariste et coloriste, qui a marqué plusieurs générations avec la série Jonathan, Cosey est installé ici depuis presque cinq ans. Avant, il habitait Lausanne. La ville, à une heure et quart de voiture, où il a vu le jour en juin 1950 sous le nom de Bernard Cosandai.

Alors que la nuit tombe, le longiligne suisse allume les bougies disposées dans la cheminée de son chalet et se met en chaussettes. Cet automne, le voici doublement présent en librairie. Ses fans s'apprêtent à déguster le nouveau volet des aventures de son héros fétiche Jonathan qui démarrent en Birmanie et se déplacent vers le Japon. A l'occasion de l'exposition "Cosey et Jonathan" à la galerie Daniel Maghen, Le Lombard édite également un superbe carnet de voyage illustré, Jonathan, une autobiographie imaginaire en BD, qui éclaire une oeuvre unique et son discret créateur.

Celui-ci a toujours su qu'il voulait devenir dessinateur de bandes dessinées, bien qu'il n'eût pas détesté être "directeur artistique aux Studios Disney" ! Gamin, quand il dévore Gigé, Tillieux et Macherot avant de découvrir Pratt, "un choc à l'adolescence", Bernard bricole déjà des petits albums qu'il agrafe. Apprenti dans une agence de publicité, il croise la route de Derib. Le créateur de Buddy Longway le prend sous son aile, lui ouvre les portes de son atelier et l'entraîne à Bruxelles.

Ses coups d'essais - trois histoires en huit planches scénarisées par A.-P. Duchâteau - paraissent dans Le Soir au début des années 1970. Puis le quotidien suisse 24 Heures lui commande une histoire courte, Le retour de la bête. Son projet d'un "Jonathan au Tibet", personne n'en veut au départ. Jusqu'à ce que l'ancien rédacteur en chef jeunesse du Soir débarque à Tintin. Souviens-toi Jonathan..., l'album publié au Lombard en 1977, est alors perçu comme "un ovni, un pavé dans la mare". Cosey avait d'emblée envie d'y joindre une bande-son pour son livre. De ne pas se limiter aux 46 pages, d'y ajouter "un texte de l'auteur qui parle de son personnage comme s'il avait déjà existé".

Mi-aventurier mi-hippie, Jonathan a d'abord eu les cheveux plats et des lunettes. Cosey n'envisageait pas une suite, il en a pourtant signé quinze. Publié en deux tomes en 1984 et 1985, A la recherche de Peter Pan est probablement son chef-d'oeuvre. Son éditeur n'y croyait pas, mais a heureusement accepté qu'il se fasse plaisir.

Humble coloriste

Cosey, qui a aussi inauguré en 1988 chez Dupuis la collection "Aire Libre" avec Le voyage en Italie, a toujours le goût des ailleurs. En début d'année, il a eu la chance de pouvoir installer son atelier pendant quatre mois à New Delhi, en dehors du circuit touristique.

Féru de littérature, il est plongé dans L'équilibre du monde de Rohinton Mistry et compte enchaîner avec 1Q84 de Murakami. Abonné au New Yorker, la revue qui a abrité bon nombre de ses écrivains fétiches, de Salinger à Carver, il n'y rate pas une nouvelle de Miranda July. Parmi ses confrères, il admire Christophe Blain ou Jean-Claude Denis et tombe systématiquement amoureux de leurs héroïnes.

Cosey est un humble. "Je ne suis ni un écrivain ni un illustrateur ni un artiste peintre, précise-il, je suis un dessinateur." Quelqu'un qui « utilise le dessin pour raconter une histoire" et pense que la qualité dudit dessin pourrait même être « secondaire ». Quelqu'un qui travaille pendant "des heures quasi bureaucratiques" et a besoin d'au moins un an et demi pour chaque album.

Qui aime les contraintes et les limites techniques de la bande dessinée et ne cherche pas à s'en échapper. Qui apprécie la matière de la gouache et s'avoue au fond plus coloriste qu'autre chose. Pour Atsuko, il souhaitait représenter le Japon sous la neige. A cause de Murakami et de Pays de neige de Kabawata, "un pur chef-d'oeuvre". Lorsqu'on le quitte à regret, les hauts cols des Diablerets affichent d'ailleurs fièrement la trace des premières chutes de la saison.

Atsuko, Cosey, Le Lombard, 11,95 euros, 54 pages couleurs, ISBN : 978-2-8036-3004-2. Sortie : 4 novembre.

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