Le monde de la culture repose sur la croyance dans l'universalité des œuvres. N'importe quel lecteur, spectateur, visiteur est susceptible d'être touché par un roman, une pièce de théâtre, un film ou une exposition. Nous considérons que, par-delà les différences entre les individus, ils sont réunis par la capacité des productions artistiques à les émouvoir. Ce n'est pas toujours vérifié et les enquêtes de publics contrarient cette représentation collective sans toutefois la faire disparaître. Si le public réellement touché n'est pas si divers ce serait parce qu'il lui manque certains codes ou une familiarité qui ne remet pas en cause l'universalité de la réception des œuvres d'art. Cette conception demeure mais une nouvelle universalité se fait jour. C'est en effet que la culture change. Nos contemporains ne se conçoivent pas seulement comme des héritiers, des passeurs de témoin entre générations. Ils revendiquent leur autonomie y compris dans leurs choix culturels. La culture conçue comme une transmission des anciens aux jeunes perd de sa force car elle ne correspond plus à la manière dont chacun s'inscrit dans le cycle de succession des générations. Depuis les années 60, chaque nouvelle génération véhicule avec elle des références qui la singularisent et la dernière édition de l'enquête Pratiques culturelles des Français confirme cette évolution. On ne compte plus les formes artistiques qui doivent leur succès à leur capacité de faire des différences avec les aînés (des « Yé-yé » au « New wave » au « rap »). Les références que les anciens traitent de haut comme étant le produit d'une « culture juvénile » finissent en réalité à s'imposer et à durer. Les mangas, les jeux-vidéos continuent à intéresser des trentenaires qui ont grandi dans cet univers de même que les coffrets et livres « Salut les copains » ont connu un succès commercial incontestable à ce dernier Noël. La culture-transmission n'est plus seule et sa domination est contestée par la culture-génération. Les œuvres continuent à former le support d'émotions potentiellement universelles mais elles deviennent aussi, de façon plus certaines, des références communes à une génération, le support de construction d'une identité personnelle qui se déroule largement au moment de la jeunesse. L'affirmation de son autonomie, l'expression personnelle passent moins par la soumission passive à un héritage, au 'don des morts' que par la mise en avant de « nouveautés » porteuses de différenciation et d'une affirmation de soi.   Une nouvelle forme d'universalité Dans ce contexte, à l'universalité théorique ou potentielle de l'éblouissement par les «  œuvres capitales de l’humanité » (pour reprendre la formule de Malraux) succède une nouvelle forme d'universalité. Celle-ci concerne la capacité (bien réelle) de certaines œuvres ou de certains artistes à s'adresser ou émouvoir des générations différentes. Un artiste universel parvient à rassembler des publics d'âges différents. Il réussit à rassembler des générations si promptes à se définir par des références distinctes. Bien sûr l'exemple de Johnny Halliday (mais on aurait aussi pu retenir Astérix, le chanteur Renaud, le film Titanic , etc.) vient à l'esprit pour incarner ce lien. Il nous unit non pas tant dans des références apprises ou subies mais dans des œuvres choisies, appréciées, qui parlent à chacun (même si ce n'est pas de la même manière) par delà sa génération. S'il suscite le mépris c'est chez les tenants de la culture-transmission qu'il menace (sans doute malgré lui) en incarnant un autre visage de l'universalité. La culture-transmission parvient à surmonter les frontières entre les générations mais principalement dans le sous-ensemble des « héritiers » de cette culture là où l'universalité de la culture générationnelle touche une population plus large et socialement hétérogène car plus profondément constitutive de l'identité personnelle de chacun. Le sentiment de déclin de la culture (ou du « niveau ») provient de cette valorisation de la culture transmission et de l'absence de reconnaissance de l'autre culture qui est beaucoup plus vivante... Si on accepte cette manière de penser la culture, force est de constater le décalage entre la manière dont nos contemporains bien vivants l'envisagent par la génération et les institutions culturelles qui l'abordent de façon dominante sous l'angle de la transmission. Il suffit de constater la difficulté des jeux-vidéos à être considérés comme un art ou celle des mangas à devenir une évidence des collections des bibliothèques publiques pour mesurer la profondeur du fossé. Si les équipements culturels s'adressent à la population réelle (et non à celle qui découle de l'origine sociale de la culture transmission), ils doivent veiller à mieux prendre en compte la culture formée des cultures de chaque génération. La culture de chaque génération doit faire l'objet d'une attention particulière et d'une recherche de dialogue avec les autres.  
15.10 2013

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