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Delon, bien vu

Jean-Marc Parisis - Photo Richard Dumas/Fayard

Delon, bien vu

Ballade biographique, réflexion élégiaque en même temps que mélancolique autour des faux-semblants de la beauté et du charisme, le livre de Jean-Marc Parisis prend toute la mesure "polyphonique" de son sujet.

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Par Olivier Mony,
avec Créé le 29.06.2018 à 01h50

Delon, bien entendu. Tel qu’en lui-même l’éternité le fige. Delon et ses fantômes, Delon et ses secrets, Delon et la solitude. Delon dans sa nuit. Delon comme une page blanche, offert aux désirs de tous. Qui s’y prête sans jamais s’y rendre. Curieux animal, profondément inscrit depuis près de soixante ans dans le "roman national" et pourtant, bien malgré lui, si peu français.

Delon, bien entendu certes, mais Delon si mal vu. Pourquoi aura-t-il fallu attendre si longtemps pour qu’enfin, sous la plume inspirée de Jean-Marc Parisis, il devienne un sujet? Dans Un problème avec la beauté, sous-titré Delon dans les yeux, l’auteur des Inoubliables (Flammarion, 2014) ou des Aimants (Stock, 2009) se livre à un fascinant exercice d’appréhension de l’acteur. Il le fait depuis le terrain qui lui est le plus fécond, l’enfance. L’enfance perpétuelle de ceux qui ne gardèrent d’elle que le désordre. Parisis passe avec un égal succès de l’autobiographie (avec le trop ignoré et splendide A côté, jamais avec, Lattès, 2016) à la biographie, puisqu’au fond c’est la même chose et que ce livre est aussi (comme le fut le Ravel d’Echenoz, par exemple) un "portrait de l’artiste en Alain Delon".

Pas seulement. Bien sûr, pas seulement. Un problème avec la beauté, c’est tout Delon (le fil biographique sera ici scrupuleusement tenu), mais pas rien que Delon. Tant Delon, c’est beaucoup plus que Delon. C’est un homme qui est aussi un personnage et un personnage beaucoup plus absent à lui-même qu’on ne le croit. Et plus solaire aussi. Au moins dans ses débuts; l’insouciance, l’insolence, de ce jeune type, à la beauté de prince dévoyée, dans l’univers un peu toc du cinéma. Delon ne joue pas, il n’en a pas besoin. Il se contente d’être là, posé, offert, à Visconti, Clément, Romy, Melville. Qui en veut. Et puis vient l’âge ou, au moins, le temps passé (l’affaire Markovic également, qui marque comme une césure définitive). La tombée du soir. Le livre de Parisis se fait alors plus fervent et poignant encore. C’est une montée au désert. La beauté est toujours là, mélangée à son souvenir, et le silence se fait de plus en plus profond. C’est désormais le lieu même de la littérature. Et c’est ainsi qu’un enfant dissipé de Bourg-la Reine ayant passé ses premières années non loin de la cellule où Genet écrivait son Condamné à mort, pour qui "la vitesse est la traduction cinétique de la droiture", se transfigure peu à peu en héros tragique et proustien (se souvenir que Delon joua Charlus). Il sera bien temps encore, à l’issue de cet interminable épilogue qu’est désormais sa vie, de se souvenir combien souvent sur un écran, Delon mourut. Combien c’est ainsi que les gens l’aimèrent. Et que Jean-Marc Parisis lui offre ce requiem qui garde de lui d’abord ce qui importe: le style. Olivier Mony

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