Polémique

Des CRS dans la BU de Brest: les bibliothèques désacralisées

Des CRS dans la BU de Brest: les bibliothèques désacralisées

Il y a trois jours des CRS ont opéré une intervention violente, menée par une dizaine de policiers, dans l’enceinte de la bibliothèque universitaire de Brest, pour matraquer des étudiants qui manifestaient contre la réforme des retraites.

Dans le monde des bibliothèques comme dans le monde académique, l’intrusion fracassante de CRS le 10 décembre dans la BU de Brest a suscité un incontestable et compréhensible émoi.

Qu’est-ce que cela nous dit des bibliothèques aujourd’hui ?

La bibliothèque est un refuge, une institution dans laquelle trouver un abri. Si de façon ordinaire, elle reçoit ceux qui ont besoin ou éprouve le besoin de s’extraire volontairement du monde pour mieux travailler, ici le cas est différent. Elle incarne une frontière, un lieu qui ne saurait être celui de la violence. Historiquement construite comme lieu du débat, de l’étude et du partage, elle ne saurait être celui de la brutalité. Quelles que soient les raisons pour lesquelles les étudiants ont été poursuivis jusque dans l’enceinte de la bibliothèque, ils ont pensé ce lieu comme un refuge. Ils se sont repliés sur un lieu emblématique de la communauté universitaire pensant y trouver une protection qu’ils ont d’ailleurs reçue. La responsable de l’établissement a courageusement rempli sa fonction en s’interposant et mettant fin à l’intervention.

En 1996, on se souvient de l’expulsion de sans-papiers de l’Eglise Saint-Bernard à Paris au cours de laquelle des CRS avaient eu recours à la hache pour faire céder la porte. Une partie de l’opinion avait été choquée par cet assaut contre un lieu de culte, un lieu sacré. L’entrée des CRS dans la bibliothèque de Brest et le fait qu’ils aient fait preuve de violence montre que la désacralisation ne se limite pas au domaine religieux. La frontière est abolie, la bibliothèque n’est pas une institution mais un bâtiment comme n’importe quel autre, réduit à son espace physique. Elle est banalisée, indifférenciée, niée dans ce qui la constitue. La force aplanit les différences à moins que ce soit justement la banalisation du savoir qui offre les conditions de l’expression de la force brute. Le patient travail par lequel le savoir s’est partiellement affranchi des tutelles religieuses et politiques rencontre une limite.

L’Université qui l’a soutenu a fini par se penser comme un monde autonome mais cela avait pour condition l’adhésion de tous à cette idée. L’individualisation de notre société fragilise les institutions et leurs représentants. Les ministres peuvent se faire tancer en direct sur une chaîne de télévision publique, un policier peut retrouver des menaces sur la porte de son domicile. Les individus ne sauraient plus être protégés derrière leur statut. Ils doivent assumer à titre personnel les actions qu’ils mènent au titre de représentant d’une institution.

C’est donc tout logiquement qu’il n’est pas question que des « activistes » ou « manifestants » cherchent à se mettre à l’abri en faisant valoir leur statut d’étudiant. Dans ce monde qui s’horizontalise, les institutions peinent à protéger leur personnel et aussi leurs usagers. Le cas de Brest nous invite donc à réfléchir, non sans inquiétudes, à la manière dont on peut conserver les protections offertes par les institutions dans ce monde d’individus revendiquant leur autonomie.
 

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