Une belle consommation de livres de poche permet, j’ai déjà dû le dire ici ou ailleurs, de faire des découvertes. Ainsi que de « rattraper » au passage des ouvrages dont j’ai entendu parler mais qui n’étaient pas passés entre mes mains au moment de leur parution – ou que je n’avais pas eu le temps de lire. Je suis un sceptique : je ne crois pas les critiques et je ne fie qu’à mon propre avis. Comme tout le monde, en fait, non ? Est-ce qu’on ne lit pas souvent pour confronter sa lecture à une autre ? Hors du domaine de la découverte, un autre type de confrontation se produit parfois : une lecture d’aujourd’hui face à une lecture d’hier – ou d’avant-hier. Il y a des textes que j’ai adorés quand j’étais jeune et que je n’oserais pas relire de peur d’être déçu. Comme tout le monde aussi, je suppose. Il m’est arrivé, il y a quelque temps, de me faire agonir d’injures (j’exagère un peu) par un écrivain dont je n’avais pas beaucoup aimé un bref roman paru dans une collection de poche – je l’avais écrit dans un article. Il se demandait si je passais mes journées à rêvasser dans un hamac malgache. Cette question était induite par son incompréhension devant le grand écart que faisait mon jugement sur le même texte entre l’édition originale et la réédition. Et il citait, pour justifier sa colère, des extraits de mon premier papier – très élogieux, en effet. La réponse était, dans un premier temps, aisée : si j’avais un nouvel avis, c’était tout simplement parce que j’avais relu et que la lecture m’avait fait une impression différente. Parce que je m’étais allongé dans un hamac ? Non, je ne pratique pas le hamac… Pourquoi, alors ? Franchement, je n’en sais rien. Si j’avais pu comparer mon état d’esprit à l’une et l’autre époque, peut-être aurais-je pu m’expliquer mieux. Ou si j’avais été capable de mesurer mon évolution personnelle en dix ans… Quant à savoir si l’un de mes deux avis valait mieux que l’autre, alors là, oui : le premier, sans aucun doute. J’avais dû être alors plus en phase avec l’imaginaire de cet écrivain. Ce qui n’exclut pas de dire le contraire quand cela ne se produit pas. Dévaluation, donc, à la relecture. Il se produit parfois, heureusement, des revalorisations, comme dans les taux de change. Et cela vient de m’arriver. Je le dis tout de suite, l’expérience est bien plus agréable. Quand Jouer juste , de François Bégaudeau, est paru à la rentrée 2003, nous préparions, comme c’est la tradition, un dossier consacré aux premiers romans. Et il fallait choisir, puisque tous ne pouvaient pas entrer dans le supplément littéraire. J’avais lu, un peu rapidement, Jouer juste , avant de l’écarter. Le style m’énervait, je ne voyais pas où l’auteur voulait en venir, bref, nous pouvions faire l’économie de ce titre. (Je ne me souviens plus si quelqu’un d’autre, à la rédaction, l’avait traité quand même.) En tout cas, j’avais tort : je viens d’y revenir grâce à son arrivée dans la collection Folio. Je me suis régalé. Ce monologue d’un entraîneur de football obsédé par, précisément, le Jouer juste , monologue envahi par la pensée perturbatrice de l’amour, est un premier roman formidable. Me voici donc réconcilié avec François Bégaudeau (qui n’en sait rien). Et, du coup, décidé à lire ses autres livres, à commencer par Entre les murs , bien sûr, puisqu’il est réédité dans la même collection.
15.10 2013

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