25 août > Roman France

Outre La Fontaine, avec sa fable où les deux pigeons "s’aimaient d’amour tendre", Alexandre Postel, jeune romancier, s’est certainement inspiré du Bouvard et Pécuchet de Flaubert. Ses héros, Dorothée et Théodore, si fusionnels qu’on les appelle "Dorothéodore", sont unis par un amour exclusif, même s’ils se disputent. Guère gâtés du côté familial, se refusant à avoir un enfant, ni même un animal, ils vont tenter toutes les expériences, sans cesse à la recherche "de l’inconnu, du nouveau". Autant de foucades successives, autant de renoncements.

En couple depuis deux ans, ils habitent ensemble depuis le 1er avril 2005, date fondatrice : les voici locataires d’un appartement à Paris. Théodore est webmestre à temps partiel, travaille à la maison et gagne 800 euros par mois. Dorothée est prof d’histoire-géo à Torcy, capésienne, gagne 1 700 euros par mois. C’est un peu juste, mais ses parents aident. Pour se sortir du scolaire, elle prépare une thèse sur Guy Mollet, sujet palpitant, mais ne l’achèvera jamais. Dans ces précisions minutieuses, on décèle dès l’abord l’intention ironique du romancier, même s’il feint l’objectivité dans la description et le récit.

Ce parfait cadre bobo étant tracé, reste à y situer de nombreux épisodes qui s’enchaînent par glissement d’idées, un peu comme dans les feuilletons du XIXe siècle. Une littérature qu’Alexandre Postel, professeur de lettres, connaît parfaitement. Voici donc le dîner désastreux avec les parents de Dorothée, les tocades alimentaires du couple (vég, puis tout surgelé, puis picole), le mariage d’Antoine Grisswein, le copain énarque qui a réussi et bosse à l’Elysée, le week-end à Rouen, le tango, le ping-pong, le sexe, la tentation d’écrire des romans, du théâtre, des sériés télé… A la fin, Dorothée reçoit un prix littéraire bidon, Théodore ne sera pas embauché par le Président. "Ils avaient vieilli sans avoir vécu", conclut Alexandre Postel. Mais leur amour a résisté à ces dix ans de platitude, il en sort même renforcé. A la fin, et c’est le seul moment de cette comédie générationnelle moqueuse où les deux pigeons nous touchent, ils se consolent de leurs échecs, persuadés qu’une vie nouvelle s’ouvre devant eux. Encore une, et, qui sait, loin de Paris.

Après Un homme effacé (Gallimard, 2013), Goncourt du Premier roman, L’ascendant (Gallimard, 2015), prix littéraire du Deuxième roman 2016, Les deux pigeons mérite sans conteste le prix du Troisième roman.

Jean-Claude Perrier

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