éducation

Ecouter la littérature pour l'apprivoiser

Cecile Palusinski - Photo olivier dion

Ecouter la littérature pour l'apprivoiser

L'usage pédagogique du livre audio progresse timidement dans les lycées grâce à des enseignants convaincus que cet outil favorise le goût de la lecture. Mais le prix élevé de ce format constitue un frein considérable. _ par Isabel Contreras

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Par Isabel Contreras,
Créé le 30.01.2020 à 22h00

Les yeux fermés, assis dans un bus, Arnaud Schaeffer, 16 ans, se laisse bercer par la voix de l'avocat Bertrand Périer. Il écoute La parole est un sport de combat, livre audio tiré du titre éponyme. « Bertrand Périer défend le pouvoir de l'éloquence tout en donnant des conseils concrets pour les entretiens d'embauche. J'aime l'écouter le matin, lorsqu'il fait encore nuit sur la route du lycée. »

Elève du lycée du Haut-Barr à Saverne (Bas-Rhin), Arnaud Schaeffer a découvert le livre audio l'an dernier, dans le cadre du prix La plume de paon des lycéens. Organisée depuis 2011, cette manifestation vise à « inciter les lycéens à découvrir de façon ludique la littérature et à se constituer une culture ».

Le livre audio- Photo OLIVIER DION

Un complément à la lecture

Soutenue par la Délégation à l'action culturelle du rectorat de l'académie de Strasbourg (DAAC), l'association La plume de paon mobilise chaque année cinq classes de lycéens. Ces élèves écoutent des livres audio et suivent deux séances de trois heures de lecture à voix haute, animées par un comédien qui leur fait découvrir des techniques d'élocution. « Le livre audio est un outil complémentaire à la lecture classique, estime Edwige Lanères, professeure de français au lycée du Haut-Barr. Il permet d'analyser les textes étudiés mais aussi de préparer les élèves à l'oral de français, puisqu'ils doivent prononcer un petit discours argumentatif en faveur de l'œuvre qu'ils ont préférée. »

Pas de directives

Edwige Lanères, qui dispense la nouvelle spécialité « Humanités, Littérature et Philosophie » en classe de première, participe au prix depuis cinq ans. Elle « théâtralise tout » auprès de ses 35 élèves, afin d'attirer leur attention. « Je me suis rendu compte qu'il fallait occuper leurs mains pendant l'écoute d'extraits d'une œuvre, autrement ils se déconcentrent. Je les ai donc initiés à la couture et au dessin. L'accueil a été bon », raconte-t-elle.

Ensemble, la DAAC et La Plume de Paon ont élaboré un document qui donne des pistes sur l'usage pédagogique du livre audio. Entre autres : un temps d'écoute en début de cours pour lancer une séance ou l'enregistrement d'un livre audio, particulièrement recommandé pour des élèves dyslexiques, dysorthographiques ou issus des classes de FLE (Français langue étrangère) et FLS (Français langue seconde).

Si l'initiative de La plume de paon reste la plus visible, d'autres projets en faveur du livre audio au lycée surgissent, souvent portés par des enseignants. A Châlon-sur-Saône, le professeur documentaliste du lycée professionnel Thomas Dumorey, Etienne Boggio, a développé des séquences pédagogiques pour les élèves de CAP, comme la rédaction d'une nouvelle policière avec une « mise en son » pour une lecture audio-assistée. Mais il regrette qu'il soit aussi difficile d'acquérir des livres audio. « Je dispose seulement d'une petite quinzaine de CD disponibles au prêt, note-t-il. Contrairement aux vidéos, les livres audios ne sont pas encore disponibles sur des plateformes réservées aux réseaux culturels et éducatifs ». Et pour cause, l'utilisation du livre audio est simplement recommandée par les pouvoirs publics, rien de plus. « On n'a jamais reçu de directives du ministère », regrette Etienne Boggio. Sollicité par Livres Hebdo sur ses intentions en matière de développement du livre audio à l'école, le ministère de l'Éducation nationale n'a pas été en mesure d'apporter de précisions.

Débloquer des crédits

Edwige Lanères, qui n'a « d'autre choix que de faire circuler une clé USB avec le livre audio dématérialisé pour que les élèves puissent l'écouter sur leur smartphone », constate plus largement qu'il devient « de plus en plus difficile de convaincre les jeunes d'acheter et de lire les œuvres. Cette année, précise-t-elle, chaque lycéen a reçu, de la part de la région Grand Est, un ordinateur portable gratuit. Les élèves peuvent retrouver des extraits [des livres] sur internet. Ils ne voient donc pas l'intérêt de perdre 2,90 euros pour acheter Andromaque. Nous avons une vraie bataille à livrer, tout en douceur, pour aider nos élèves à aimer les livres. Et pour cela, tous les moyens sont bons. »

Consciente des difficultés auxquelles sont confrontés les enseignants, la commission audio du Syndicat national de l'édition compte mettre des ressources pédagogiques à disposition sur son site. « Nous souhaitons afficher les catalogues des membres adhérents du SNE pour que les enseignants puissent découvrir l'offre existante », explique Valérie Levy-Soussan, présidente de la commission et P-DG d'Audiolib. Et parce que « face à la valeur d'un livre de poche, proposé à moins de 10 euros, le livre audio apparaît cher [un CD coûte environ 20 euros, NDLR] », l'éditrice considère qu'il faudrait « débloquer des crédits en médiathèque » mais aussi, « de notre côté, réfléchir à la création d'une plateforme autour du livre audio en format numérique, en forte croissance actuellement ». Cécile Palusinski, présidente de l'association La Plume de paon, veut croire que « le livre audio, boosté par les podcasts, trouvera sa place auprès des lycéens grâce aux smartphones ».

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