Avant-critique Roman

Édouard Jousselin, "La géométrie des possibles" (Rivages)

Edouard Jousselin - Photo © DR/Rivages

Édouard Jousselin, "La géométrie des possibles" (Rivages)

Dans un remarquable second roman, Édouard Jousselin entrecroise les destins de personnages que rien en prédestinait à se rencontrer.

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Par Laëtitia Favro
Créé le 08.12.2023 à 09h00 ,
Mis à jour le 08.12.2023 à 14h04

Variabilité du destin. L'accident ne ressemble pas à un véritable accident. On dirait du cinéma. Le conducteur de la Maserati pourrait être un acteur célèbre, celui de la Honda Accord qui l'a percutée, un cascadeur. L'un pousse son dernier souffle tandis que l'autre prend la fuite à pied. Au loin, des sirènes hurlent. « La nuit est douce, un vent océanique caresse le ventre chaud de la ville. » À Los Angeles, la route 101 est étrangement déserte. À des milliers de kilomètres, « au milieu de ce grand machin froid et sombre qu'est le Morvan », on enterre un homme, un vétéran, un résistant, dans le village de Quarré-les-Tombes. La légende veut qu'un millier de sépultures mérovingiennes fussent autrefois disposées dans le cimetière entourant l'église du village au nom tout désigné. Au crépuscule de sa vie, Lucien Michot répétait en boucle les mêmes histoires. « Il évoquait les sarcophages et saint Georges de Lydda qui était descendu du ciel et avait permis à de preux chevaliers de vaincre l'envahisseur. Il disait qu'il n'avait pas fait de même, que les fantômes en savaient long sur son compte. Il mentionnait, aussi, le chant des rossignols. » Isabelle, sa fille, n'assiste pas à son enterrement. Les histoires de son père, elle les connaît, elle est la seule à savoir ce qu'elles dissimulent. Sa fille Marine lui reproche son absence et son silence. Mais Isabelle craint davantage le regard de son fils Maxime qui, tout petit déjà, la tourmentait. Maxime est né l'année du pire attentat terroriste jamais commis sur le sol américain avant le 11-Septembre. Le 19 avril 1995, une bombe ravageait le centre-ville d'Oklahoma City. Parmi les miraculés, Bill Smith et son fils Steve, qui auraient figuré parmi les victimes si l'enfant n'avait été malade ce matin-là.

Paru en mai 2020, à une époque où l'on se demandait encore si les librairies étaient ou non des commerces essentiels, le premier roman d'Édouard Jousselin (Les cormorans, Rivages) n'avait pas bénéficié de la lumière qu'il méritait. Son second est tout aussi remarquable et digne de notre attention. Les destins qui se croisent et s'entrelacent dans cette Géométrie des possibles rappellent la phrase d'Edward Lorenz à propos de l'effet papillon, métaphore passée depuis dans le langage commun pour désigner une infime modification des conditions initiales capable d'engendrer des effets colossaux. Édouard Jousselin anime une galerie de personnages que rien ne semblait prédestiner à se rencontrer. Le lecteur se familiarise avec eux, mais il lui faut parfois remonter vingt ans plus tôt pour connaître leur vrai visage. « Tout ce que je peux te dire, prévient ainsi Isabelle, c'est qu'on ne connaît jamais totalement les personnes qui nous entourent, que tout le monde peut nous tromper, qu'il faut une saine distance avec chacun, même avec son père ou sa mère. »

Edouard Jousselin
La géométrie des possibles
Rivages
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 23,90 € ; 608 p.
ISBN: 9782743661687

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