Édouard Levé était un autodidacte. D'abord peintre, pratique qu'il abandonna dans un geste de rupture radicale en brûlant ses toiles, il se lance dans la photographie et dans l'écriture. Son dernier texte, Suicide, avait été déposé chez son éditeur quelques jours seulement avant qu'il ne se donne la mort. Son rapport à l'art est performatif, et ces textes inédits, publiés quinze ans après son décès, le montrent une nouvelle fois. Levé est un artiste conceptuel.
Parmi ses créations, beaucoup sont des « projets de projets », comme l'écrit son ami Thomas Clerc dans la préface hommage qui ouvre ce recueil. Telles Œuvres (P.O.L, 2002), qui présente une série de textes en fragments décrivant des œuvres d'art dont il a eu l'idée mais qu'il n'a pas réalisées, ou Autoportrait (P.O.L, 2005), un exercice autoréflexif en 1 600 phrases : « Je suis mal à l'aise pour parler en public d'autres sujets que de moi-même. Je suis intarissable sur mon propre sujet. Comme j'aime écouter les autres me parler d'eux-mêmes, je n'ai aucun scrupule à parler de moi. »
Les textes de Levé sont bruts, ils ne louvoient pas. Ses mots sont précis, acérés, ne cherchent pas à faire bonne impression. Adoptant une perspective a priori objective, il compose des images et expose des faits dans ce qu'ils ont de cru, de réaliste, sans laisser place ni à l'émotion ni à la sublimation. Pourtant, une forte singularité se dégage de ces écrits : c'est une vision de l'absurde que dessine Édouard Levé, de ce réel qui surgit en surface lorsque l'œil se balade dans la ville. Ils pourraient susciter le rire, tout ironique soit-il, si les objets décrits ne portaient pas, sous la lisse apparence de la pure description, un profond sens du drame. L'écrivain joue avec des règles, des contraintes de forme. Ainsi son dictionnaire, extrait des Inédits, et cet abécédaire du tourisme rempli de néologismes : « Retourisme. Partir très loin avec un moyen de transport rapide et revenir lentement chez soi. »
Ses pérégrinations dans Paris ont quelque chose de baudelairien, il fréquente les cafés, les bordels, les squares, les galeries d'art, les clubs, il décrit les mendiants, les prostituées, l'horreur et l'extase d'un grand centre urbain à l'aube du XXIe siècle. L'auteur reste en décalage, un personnage double et dédoublé, spectateur de sa propre existence. Ces inédits comportent aussi des poèmes, chansons, retranscriptions de journaux télévisés (ready-mades), des histoires de fées, de chats ou celles, hypothétiques, de sa conception, ainsi que des « interventions », plus politiques sur le vote, l'écologie, l'art contemporain... À propos de Pierre Huyghe et Pierre Bismuth qu'il qualifie d'« artistes de variétés », « à la fois peintres des années 1980, et des artistes post-conceptuels des années 1990 », il écrit : « Cette attitude, assurément fin de siècle, annonce-t-elle une posture emblématique des prochaines décennies ? » Ainsi Édouard Levé décrit-il, à travers ses contemporains, sa propre posture artistique.
Inédits Préface de Thomas Clerc
P.O.L
Tirage: 3 000 EX.
Prix: 24 € ; 512 p.
ISBN: 9782818052846
