Rentrée littéraire 2021

Elle a changé de nom mais on la reconnaît très vite, Emmanuelle Pagano désormais Salasc. Sa curiosité, abrupte et fouillée, devant ce qui lie de toute éternité les hommes et les éléments. Sa fascination pour l'eau, en particulier, une nouvelle fois, après sa Trilogie des rives. L'eau dans tous ses états, façonnant les paysages et les âmes, ici glace et eau vive, eau de montagne qui peut aussi bien soigner que tuer. Hors gel s'ouvre à l'été 2056, sur des pentes que la romancière a imaginées, comme souvent, en recomposant des lieux réels. Cent cinquante ans se sont écoulés depuis la purge d'une poche d'eau emprisonnée sous le glacier qui domine la vallée, emportant tout sur son passage. Une « lave torrentielle » meurtrière, inspirée de la catastrophe de Saint-Gervais-les-Bains en Haute-Savoie causée par le glacier de Tête Rousse. La narratrice, Lucie, née au début des années 2000 a la cinquantaine. Fille de paysans, elle est installée depuis vingt ans dans une rustique grange familiale, isolée à mi-estive.

Lorsque le roman débute, elle cache sa jumelle, sa cadette de quelques heures, Clémence qui a disparu de sa vie pendant trente ans. Cette sœur « née en colère, en peur », animée depuis l'enfance de pulsions autodestructrices, dont les excès - fugues, drogue, prostitution - et les crises aiguës et incontrôlables ont terrorisé toute la famille. Clémence, l'ingérable, cette grenade dégoupillée dont sa jumelle a appris très tôt à craindre la violence toujours prête à jaillir et déborder. Magnétique et éblouissante. Souveraine despotique. Son retour réactive toutes les angoisses enfouies, qui viennent s'ajouter à la menace que fait à nouveau planer le glacier.

Le roman avance sous l'oppression de ce double danger - imprévisible en dépit de tous les systèmes d'alerte -, de cette double emprise. Imbibé d'une peur multiforme, il révèle l'impuissance à contenir la brutalité furieuse qui couve dans le cœur d'un glacier et d'une sœur si proches. Hors gel fait le va-et-vient entre le passé (notre présent) et le futur, articule le temps géologique et celui de la mémoire des hommes. Dans l'anticipation, l'écologie radicale est au pouvoir, la montagne est « plus sauvage qu'avant, plus préservée, mais totalement surveillée ». La romancière, avec sa précision documentaire coutumière, envisage en extrapolant les évolutions du monde montagnard, de la société tout entière. Soigneusement descriptif, parfois critique et si réaliste que les scénarios apparaissent plausibles, le roman offre en miroir la vivisection de relations familiales toxiques et une inquiétante fable géographico-politique qui donne matière à réfléchir.

Emmanuelle Salasc
Hors gel
P.O.L
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 21 € ; 416 p.
ISBN: 978-2-8180-5204-4

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