7 avril > Roman Italie > Alessandro Baricco

C’est un peu le mariage de la carpe et du lapin, cette alliance entre ces deux clans : le Fils est issu de l’aristocratie industrielle du nord de l’Italie, dont la vie est rythmée par de lents rites désuets ; sa promise, la Jeune Epouse, est née dans un milieu d’agriculteurs aux mœurs brutales, partis faire fortune en Argentine. Si ce n’est pas une mésalliance, c’est en tout cas une union surréaliste comme tout le récit qui en est le cadre. Quand la Jeune Epouse, éponyme du dernier roman d’Alessandro Baricco, à peine âgée de 18 ans, débarque dans la Famille, le Fils n’est pas là, il a été envoyé outre-Manche pour étudier les innovations textiles anglaises. Elle attend. Elle se retrouve parmi des gens comme évoluant dans un autre espace-temps : "Ils ignoraient la succession des jours, car ils visaient à n’en vivre qu’un, parfait et répété à l’infini."

Trois choses à savoir, explique à la Jeune Epouse Modesto, le vieux serviteur qui s’exprime par une espèce de Morse toussé. La Famille ne supporte pas la nuit, nombre de ses membres ont décédé nuitamment ; nulle place au malheur, car "l’infélicité vole du temps à la joie et c’est dans la joie qu’on forge la prospérité" ; aucun livre sous leur toit : "Tout est déjà dans la vie, et les livres nous distraient inutilement de cette tâche […]." Modesto sert un petit-déjeuner interminable plus proche d’un festin que de la collation matutinale. On converse, on boit du champagne jusqu’à 15 heures. L’Oncle tombe de sommeil n’importe quand, tout en continuant à fonctionner tel un somnambule, ainsi peut-il jouer du piano endormi. Le Père, quant à lui, souffre d’"une inexactitude du cœur", une déficience cardiaque de naissance qui le rend pour le moins placide mais non moins déterminé à changer le monde. La Mère, d’une beauté sublime, a légué ses nobles traits à la Fille dont la Jeune Epouse partage la chambre. Pour vaincre la peur de la nuit, la Fille se caresse l’entrejambe et s’étourdit de plaisir. La Jeune Epouse, prévenue par sa grand-mère des périls de la séduction, ignore tout du sexe. Commencent des rites d’initiation érotique pour celle qui attend le Fils.

Temps suspendu et délicieuse ironie d’un narrateur labile - on passe du "il" ou "elle" au "je" sans que l’on sache tout de suite qui parle -, Baricco ourdit un conte libertin à l’atmosphère gothique et mêle aux fils de l’intrigue une réflexion sur l’écriture même : "[en tant qu’écrivain] le sens le plus vrai de ce que nous pouvons accomplir m’a toujours paru être le geste de mettre entre notre vie une distance magnifique". S. J. R.

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