HAÏTI
Quel éclairage l'expérience haïtienne, marquée par la première révolte d'esclaves victorieuse de l'histoire moderne, apporte-t-elle au monde ? Cette question traverse l'œuvre de Yanick Lahens, ancrée dans la culture qui l'a vue naître, une culture transmise par les femmes de sa famille, sa grand-mère Régina, « totem puissant, partie trop tôt », et son arrière-grand-mère Elizabeth, « arrivée de La Nouvelle-Orléans, nimbée de ses secrets », qui donnent leur nom aux héroïnes de Passagères de nuit. « J'ignore pourquoi j'ai attendu cet âge pour partir en quête de ces femmes qui m'ont forgée, alors que j'ai toujours été fascinée par les récits qui les entouraient », avoue-t-elle.
INTUITION
« Pour faire parler leurs silences », Yanick Lahens s'est appuyée sur des bribes de mémoire collectées auprès de sa famille, que la fiction est venue renforcer. « Chercher à reconstituer des faits en pensant qu'on va obtenir la vérité est un leurre. Pour reconstituer les trajectoires d'Elizabeth et de Régina, j'ai dû faire confiance à mon intuition. » L'écrivaine a transposé leur histoire au xixe siècle, entre La Nouvelle-Orléans et Haïti. « Le pouvoir de la littérature est de nous offrir cette liberté-là. Le roman est le territoire de la complexité, un espace où les réponses définitives n'existent pas. »
FEMMES
Chez Yanick Lahens, les figures marquantes (on pense à Angélique dans La couleur de l'aube) sont quasi exclusivement féminines, mues par cette « ténacité silencieuse » qui caractérise les héroïnes de Passagères de nuit. « La grande histoire est souvent écrite par des hommes, parfois avec grandiloquence. Mon écriture se loge dans l'envers de cette grandiloquence et s'applique à valoriser la puissance de l'intime, à travers des voix féminines porteuses de récits du quotidien, aussi essentiels pour comprendre la destinée d'un pays que des faits d'armes », explique-t-elle.
AMNÉSIE
Sans être historienne, Yanick Lahens se passionne pour l'histoire d'Haïti. À son arrivée en France, à 15 ans, elle est stupéfaite de constater que la révolution et la littérature haïtiennes sont quasiment absentes des manuels scolaires, en dépit de la longue histoire liant la France à son île natale. Dès lors, l'écrivaine s'engage en faveur d'une Histoire décentralisée et valorise une vision plurielle des mondes francophones. Elle constate : « Haïti a toujours été ouverte sur l'ailleurs, sa littérature n'est pas fermée sur elle-même. Elle est porteuse d'intime, mais d'un intime possédant une résonance universelle. »
COMPOSER AVEC
Secouée par l'instabilité politique et les gangs menant des guerres de territoire, Haïti est actuellement en proie à la violence, une violence avec laquelle Yanick Lahens a dû composer tout au long de l'écriture de son roman. « Mes personnages m'ont permis de tenir, je leur demandais de m'aider à faire advenir leur histoire. » Cette citation de René Char lui revenait souvent à l'esprit : « Nous sommes, ce jour, plus près du sinistre que le tocsin lui-même ; c'est pourquoi il est grand temps de nous composer une santé du malheur. Dût-elle avoir l'apparence de l'arrogance du miracle. » Et l'écrivaine de conclure : « La littérature est ce qui permet à l'oxygène d'arriver au cœur. Quand on est haïtien, il faut toujours composer avec l'imprévisible. »
Passagères de nuit
Sabine Wespieser éditeur
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 20 € ; 232 p.
ISBN: 9782848055701