23 AOÛT - ROMAN France

Antoine Choplin n'est pas un débutant (se souvenir de Radeau en 2003 et depuis Cour nord, Le héron de Guernica) mais il est aussi discret que son écriture, toute de délicatesse fluide, qui ne se hausse pas du col.

Gouri arrive à moto, tirant une remorque dans un petit village de la campagne ukrainienne où ne vivent plus que quelques âmes, pas loin de Tchernobyl. Il fait étape chez Vera et Iakov, un couple qu'il n'a pas vu depuis deux ans. Ancien travailleur de la centrale, il est devenu écrivain public à Kiev et s'en est mieux sorti que son ami Iakov, recruté pour "nettoyer la zone" dans les mois qui ont suivi l'accident, qui, malade, attend la fin. Sont aussi restés dans "ce coin-là" Piotr - "le gamin aux chats" -, un couple de vieux, Kouzma...

Le but de son équipée est d'entrer dans la zone contaminée, interdite d'accès. Il veut retourner à Pripiat, ville fantôme à quelques kilomètres de la centrale, pour revoir l'appartement qu'il occupait avec sa femme et sa fille, et qu'ils ont dû évacuer. Et puis il cherche autre chose qu'on ne racontera pas, non qu'il y ait un quelconque suspense, mais on aurait peur d'ébranler le pudique équilibre de ce récit, plein de silences et de suspensions.

Il n'y a rien de misérabiliste, rien qui tire les larmes dans ce texte aussi loin que possible du reportage. Pas de thèses, pas de dénonciation. On est à hauteur d'homme, dans une horreur à visage humain, un visage "buriné au césium de la campagne", ironise Vera. Pas de grands mots mais un récit d'apocalypse invisible, ponctué de dialogues économes d'émotion et arrosés de vodka : Iakov qui, embauché pour "enterrer la terre", raconte avoir vu les arbres rougeoyer. Kouzma qui se souvient de sa maison engloutie dans un trou et pense que le diable "profite de l'aubaine pour se fabriquer un monde à lui. A son image. Un monde qui se foutrait pas mal des hommes".

Avec son art modeste et sensible, Antoine Choplin rend poignantes la tendresse maladroite, la fraternité résistante, ces vies arrêtées, cette Nuit tombée un jour d'avril 1986 sur des hommes et des champs.

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