Comme tout le monde, j’ai fait la queue dimanche. Depuis près de quarante ans que je vote, c’est la première fois que ça m’arrive (exception faite en 1981 et encore c’était pour apprendre que j’avais été radié des listes électorales !). Comme beaucoup de Français j’ai été fier d’attendre pour glisser mon bulletin dans l’urne. Un sentiment que nous sommes des millions à avoir éprouvé. Il y avait dans ces files d’attente une ferveur incroyable. Faite de retenue, de fierté, de regards à peine échangés, de questions non posées (et lui, pour qui va-t-il voter? et elle ?). La France ne se fera plus prendre au piège lepenien. Et alors ? Alors quelque chose a changé. Finie l’indifférence, voici le retour de l’enthousiasme démocratique, de la responsabilité citoyenne. De l’émotion aussi: j’en connais qui ont embrassé leur bulletin avant de le mettre dans l’enveloppe. Bien sûr ça ne change pas la face du monde, mais un peu celle de notre pays. Je suis toujours frappé quand je voyage à l’étranger de la capacité qu’ont les Américains à se tomber dans les bras (free hug !) jusqu’au bout du monde, les Anglais à faire un club, les Italiens à hurler de rire ensemble, etc. Les Français ? Ils s’évitent. Cessent de parler à voix haute de peur d’être reconnus par des compatriotes. On n’a pas fait tout ce chemin pour retomber sur des Français ! Et pourtant combien j’aimerais dire à ceux qui hésitent à partir dans un pays qui ignore le steak-frites, où l’on ne parle pas français ou pire dont les automobilistes sont plus dangereux que nous (pas facile…) : la France, quittez-la ET aimez-la. Les Français ne se sont pas contentés de voter en nombre dimanche, ils ont dit ce qu’ils voulaient. Ou plutôt ce qu’ils ne voulaient pas. Une extrême droite qui nous fait honte, une classe politique qui a dépassé la date de péremption, des Français qui ne le sont pas autant que d’autres. Car Le Pen ne comptera plus désormais. Et puis, pour la première fois depuis 1945, celle ou celui qui nous présidera sera né « après-guerre », car les Français de la deuxième, troisième, quatrième génération se sont exprimés bulletin de vote en main. Et ils ont heureusement tourné la page. Alors certains s’inquiètent : tout ça pour ça ? Une opposition droite-gauche ! Oui, et alors ? Deux camps, mais plus tout à fait les mêmes. Avec des arguments plus forts, des horizons plus dégagés. Au traditionnel « Tous en-semble ! Tous en-semble ! » scandé depuis longtemps dans les défilés de gauche s’oppose « Ensemble tout est possible » chez Sarkozy. En-sem-ble ! Pour me remettre du gavage de journaux auquel je m’abandonne le lendemain des élections depuis si longtemps, je suis allé lundi après-midi voir Ensemble c’est tout de Claude Berri d’après le livre si touchant d’Anna Gavalda. Soudain ce titre, ce livre, ce film m’ont paru dire le fin mot de l’histoire. Ensemble. C’est tout ! Voilà l’important. Il y a eu la fracture sociale, il y a eu les émeutes des banlieues, chacun a pris conscience qu’au-delà de ce guichet notre billet électoral risquait de ne plus être valable. Pas d’unanimisme dans cet « ensemble » mais une claire conscience des dangers. Personnellement je me garderais de reprocher à Nicolas Sarkozy d’avoir fait reculer le FN (j’ajouterai, n’en déplaise aux littérateurs snobs, « Lire et faire lire », l’association créée après 2002 par Alexandre Jardin et qui compte désormais plus de 10.000 Français qui vont lire des histoires dans les écoles). Mais quel prix Sarkozy est-il prêt à payer pour cette victoire de premier tour? On pourrait évoquer cette insistance à prôner « l’identité nationale » sans jamais expliquer ce qu’il entend par-là (mais les électeurs lepénistes qui l’ont rejoint savent bien, eux, quelle dose de racisme cela recouvre) ou ses incursions, disons pour le moins maladroites, sur la génétique. Lorsqu’il est devenu ministre de l’Intérieur de Jean-Pierre Raffarin je n’ai pas aimé l’entendre s’en prendre aux « droits-de-l’hommistes ». Ce n’est pas en répétant que la France est la patrie des droits de l’homme que les Français se trouvent quitte de leurs responsabilités. Mais ravaler les plus sacrés de nos principe à une bande de braillards inconséquents, non ! Pour qui a lu le petit livre de Christophe Mercier Garde à vue (Phébus, 3€), il y a matière à s’interroger. Cet écrivain a été arrêté au guidon de sa moto avec 0,7 gr d’alcool dans le sang (on peut conduire jusqu’à 0,4 gr). Qu’il soit interdit de conduire bourré, OK ; qu’on risque une amende, voire un retrait de permis, c’est la loi. Mais qu’on fasse dix-neuf heures de garde à vue, sans explication, sans pouvoir passer un coup de téléphone, c’est plus qu’illégal, c’est immoral! Et qu’on l’oblige à se dénuder devant plusieurs policiers et d’écarter les jambes pour qu’on vérifie qu’il n’a rien de caché dans le rectum, c’est scandaleux ! C’est pourtant devenu quasiment la règle pour les jeunes, de préférence de couleur, fumeur de hashish (shit serait mieux adapté dans ce cas) ou tagger. On peut ajouter l’impossibilité de dormir dans une cellule ou la paillasse est tellement étroite qu’elle interdit aux « gardés à vue » de dormir la nuit. Nos sociétés ont oublié la guerre. Elles découvrent le terrorisme. Depuis le 11-Septembre revient de façon récurrente, sous-jacente, celle de la torture. Cette pratique est pourtant condamnée par la Déclaration universelle des droits de l’homme et notre constitution. Jouer avec cette limite absolue menace directement nos libertés. L’emploi, c’est essentiel, la sécurité aussi, la protection sociale évidemment, mais la liberté ne saurait reculer, pas plus que l’égalité (que je continue à préférer à cet égalita« risme », si voisin du droits-de-l’hommisme) et, bien sûr la fraternité. Alors, ensemble. Oui, mais c’est tout ! PS (si j’ose) : Merci à Nicolas d’avoir retiré de son slogan de campagne le « Tout est possible » après « Ensemble » pour le second tour. D’abord tout n’est pas vraiment possible. Ensuite, on risquerait de comprendre que si tout était possible cela voudrait d’abord dire que n’importe quoi l’est aussi!
15.10 2013

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