La vie de travers. L'incipit fait l'effet d'un coup de feu. C'est la marque d'Éric Vuillard, son style. « À dix-sept ans, il tua son premier homme. C'est alors que sa vie commence. » On se dit immédiatement que l'Ouest américain lui va comme un gant, de boxe de préférence. On sait que l'écrivain va flinguer. Mais qui ? Pas son personnage, non, c'est déjà fait. Peut-être une certaine idée du western avec son épopée chargée de traîne-misère. Sans doute l'Amérique avec sa fabrique de mythes dont elle n'arrive plus à se dépêtrer.
Le choix de Billy the Kid n'est pas anodin. En réalité, comme souvent chez Éric Vuillard, le sujet est un prétexte pour parler d'autre chose. Après le colonialisme (Congo, Actes Sud, 2012), le peuple français (14 juillet, Actes Sud, 2016), et l'argent au service du nazisme (L'ordre du jour, Actes Sud, 2017, prix Goncourt), voici la violence de l'Amérique. Et quoi de mieux pour l'évoquer qu'une figure légendaire du far west ? Sur la vie de Billy the Kid, on en sait très peu, sauf ce qu'en a raconté Pat Garrett, le shérif qui l'a revolvérisé en 1881, à Fort Sumner au Nouveau-Mexique. On a dit que le Kid était mort à 21 ans après avoir tué 21 hommes. Mais on a dit tellement de choses sur ce gosse à la gâchette facile. Il est né dans la misère. Il a pris la vie de travers, par le mauvais bout, celui de la faim et du colt. « Il est mort à vingt et un ans. Personne ne l'aimait. » Il faut dire que lui « n'aimait que l'argent des autres ». Dans sa dérive, Billy the Kid a poussé le risque au maximum. « Il voulait voir jusqu'où cela irait, ne pas vieillir. » Ce ne fut pas le cas de son frère - d'où le pluriel du titre, Les orphelins - lui aussi mort dans l'indigence, mais honnête, cinquante ans plus tard.
En parlant de ces desperados désespérés, Éric Vuillard observe : « Ils n'explorent pas le monde, ils le fuient. On ne fuit jamais assez loin. On tourne autour de quelque chose. » L'écrivain, lui, tourne autour du Kid et cela donne quelque chose. Des intuitions sur ce qui se passe là-bas, dans ces plaines brûlantes balayées par le vent. « La violence est indispensable à la liberté. » On y perçoit aussi l'image d'une société fondée sur cette brutalité avec ces propriétaires terriens qui manipulent flics et voyous. « Les élections blanchissent tout. Elles sont la continuité de la vie féodale par d'autres moyens. »
Avec ces phrases brèves qui claquent comme des sentences, Éric Vuillard a peaufiné un récit sur la fabrication d'une légende et sur ce que cette légende peut nous dire de l'Amérique d'aujourd'hui. « Il faut avoir passé au moins un jour à Washington DC pour s'apercevoir que les États-Unis ne sont décidément pas une nation comme les autres, mais une colonie établie à la va-vite sur des marécages. » Billy the Kid ne fut qu'un pistolero parmi d'autres qui passa de vie à trépas des mains d'un homme qui en avait besoin pour assurer sa notoriété. D'ailleurs, le colt qui l'a tué s'est vendu aux enchères six millions de dollars en 2021.
Les orphelins. Une histoire de Billy the Kid
Actes Sud
Tirage: 60 000 ex.
Prix: 20,90 € ; 176 p.
ISBN: 9782330217556
