« Les Belles Etrangères », titre le Figaro Magazine du 1 er septembre avec une idée typiquement hebdo pour aborder la rentrée littéraire, version étranger – dont on observe qu’elle concerne comme d’habitude uniquement des anglo-saxons. Il faudrait modifier les genres. Ce serait : littérature française, littérature anglophone et littérature étrangère, car cette dernière semble devenir de plus en plus étrangère, en effet, aux rubriques Livres. Mais la complainte sera pour une autre fois. Nos « Belles Etrangères » (ne pas confondre avec les Rencontres organisées par le Centre national du Livre) sont trois romancières sélectionnées pour leur jeunesse et leur agréable apparence physique, comme l’indique le titre du dossier. C’est un critère comme un autre. Il y a pas mal de bons livres signés par des étrangères, cette rentrée. Tant pis pour la Polonaise de quarante-cinq ans (Olga Tokarczuk, Noir sur Blanc) ou la Suédoise de quarante-six ans (Monika Fagerholm, Stock) ou la Chinoise de cinquante-trois ans (Wang Anyi, Picquier) – je ne prends que trois exemples. Elles ont passé la limite d’âge d’une « belle étrangère ». Celle-ci est fixée, semble-t-il, à l’Anglaise brune de quarante ans, en l’occurrence Rachel Cusk ( Arlington Park , l’Olivier), photo page 64 du Figaro Magazine . En être ou pas Il n’est pas sûr que ces critères aient fait l’objet d’une mise au point scientifique, ni d’une préméditation. On sait ce que c’est : il faut ramasser comme on peut quelques articles, trouver un thème et convaincre le reste de la rédaction qu’on est glamour, que la littérature n’est pas ennuyeuse (puisque les auteures y sont belles) et qu’elle est surtout merveilleusement photographique, condition sine qua non pour être une jeune femme pleine de talent. Imaginons que la star du dossier (Marisha Pessl, USA, 30 ans, pleine page 62 à la Récamier, La Physique des catastrophes , Gallimard) soit moche comme la fumée, avec le physique d’une catastrophe, justement. Et bien, elle ne ferait plus partie des « auteurs qui vont faire sensation ». Le Figaro Magazine ne féminise pas « a uteur ». Elles sont belles. On ne va pas, en plus, les accorder en genre. Accessoirement, ce classement contraint les journalistes à y aller de petits couplets descriptifs. Marisha ? « Toute menue dans son chemisier blanc à manches courtes et son pantalon de toile bleu chiné. Des sandales à semelle compensée grandissent cette Lolita, etc. ». Elif Shafak ? (Turquie, enseignante aux Etats-Unis, écrivant en anglais, 36 ans, p. 65, La Bâtarde d’Istanbul , Phébus) : « Les yeux sont clairs, d’un bleu méditerranéen, le visage pâle, gagné par les cernes et les cheveux roux [quoi ça les cernes, s’exclame Elif, lisant l’article, comment ça des cernes ? Et puis, ils ne sont pas roux, mes cheveux : blond vénitien, comme l’atteste la photo]. Il émane d’elle un mélange étonnant de douceur et de force ». A quand les belles nationales?   Seule Rachel Cusk n’a pas droit à une description, sans doute parce que l’article est signé par une femme – alors que les deux autres sont signés chacun par un homme. Et c’est bien plus efficace : puisque le lecteur dispose d’une grande photographie de chacune des belles, à quoi bon perdre des lignes à la décrire ? D’autant plus que la description du charme ou de la séduction est l’une des difficultés majeures de la littérature. C’est déjà compliqué d’écrire un article, y rajouter les problèmes de la description… Avec, en plus, avec la photo en vis-à-vis, pour comparer. Le choix du frais minois, et/ou autres avantages, pose un dernier problème. Au lecteur, cette fois. S’il sélectionne un livre sur ce critère visuel que fera-t-il des 300, 400 ou 600 pages toutes grises ? Les éditeurs devraient alors insérer, en vis-à-vis, de chaque page une photographie de la belle, au fur et à mesure qu’elle rédige. Me vient à l’idée une liste possible de certaines de nos « belles nationales », et de certains « beaux nationaux », qui seraient tout à fait d’accord. On les verrait tout le temps, elles ou eux. Il y aurait moins de texte à fournir. Et comme, elles ou ils écrivent essentiellement pour prendre la pose, ce serait parfait.

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