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Faits divers dans l'édition : Publier sans devenir coupable (2/3)

Le Prisonnier d'Alcatraz De John Frankenheimer DR

Faits divers dans l'édition : Publier sans devenir coupable (2/3)

Publier l'histoire d'un crime peut rapporter beaucoup d'argent mais autant d'ennuis. Avocat des éditeurs depuis plus de vingt ans, Christophe Bigot revient sur quelques précautions essentielles à prendre pour éviter de se retrouver à son tour dans le box des accusés.

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Par Pauline Gabinari
Créé le 04.04.2022 à 17h56 ,
Mis à jour le 04.05.2022 à 12h22

Le 17 mars, un ouvrage fait son apparition dans le rayon "true crime" des librairies. Son large bandeau rouge le distingue des autres titres et prévient le lecteur : "Le livre que Nordahl Lelandais a voulu faire interdire".  Le Rapport sur Nordahl L (Michel Moatti, Ed.Hervé Chopin) est ressuscité après une première naissance avortée. Initialement prévu pour 2018, l'ouvrage avait été intercepté par l'avocat de l'accusé, retiré des ventes, et pilonné juste avant sa sortie. Comme Michel Moatti, de nombreux auteurs ont été poursuivis en voulant écrire sur des justiciables dont la procédure est encore en cours. Un sort que l'avocat Christophe Bigot tente régulièrement de leur éviter en relisant scrupuleusement leurs textes avec un oeil "judiciaire".


Vingt pages par heure


"Le livre est un vecteur sain pour l'information judiciaire", dit Christophe Bigot. Entouré des dizaines d'ouvrages lus, corrigés et défendus, il s'explique : " un livre offre ce que la presse ne permet pas : un temps long, du contexte et une multitude de points de vue." Cette profusion d'informations implique cependant une multiplication des risques à évaluer pour permettre une publication sereine. Prudent, il préfère par exemple conseiller à ses auteurs de réduire les dangers en limitant les détails de vie privé aux personnages principaux, quitte à supprimer les noms des témoins subsidiaires. Une façon de se concentrer sur des éléments clef parfois "frustrante" mais nécessaire pour déminer une publication ou, parfois, pour étayer une plaidoirie.

La question du genre littéraire est également au centre des préoccupations, même quand il s'agit d'affaires criminelles. "Il faut choisir son genre, être dans un registre et en respecter les règles", assène Christophe Bigot pour qui la confusion entre réel et imaginaire reste ce qu'il y de plus difficilement défendable. En vingt-cinq ans de carrière, les seuls textes qu'il a toujours refusés sont ceux qui portaient en eux cette ambigüité. "On ne peut pas s'approprier une affaire et sous couvert de fiction déformer la réalité", tranche-t-il.

Dans les cas d'ouvrages traitant de crimes particulièrement médiatiques, l'avocat peut passer des dizaines d'heures sur un texte. Alors que les rebondissements de l'affaire Jubillard tiennent tous les jours les lecteurs de la presse en haleine, Christophe Bigot, lui, relit patiemment le texte de Ronan Folgoas, Le mystère Jubillard, (StudioFact). Au rythme de vingt-cinq pages par heure, il traque tous les mots qui pourraient se retourner comme un boomerang contre leur auteur. Mais il prévient : "en tant qu'avocat, nous ne sommes pas dans un rôle de censeur, mais d'accompagnateur".


Présomption d'innocence et vie privée


En dépit du filtre de cette relecture, il n'est pas rare qu'une fois édité, un ouvrage soit attaqué. "Les pressions sont nombreuses pour ce type d'écrit", constate Christophe Bigot. Il évalue que, dans ce genre de littérature, les menaces de procédures judiciaires pèsent sur un livre sur deux. La plupart du temps, on reproche à ceux qui les ont écrit de ne pas respecter la présomption d'innocence : " on les accuse de présenter quelqu'un comme coupable alors qu'il n'a pas été jugé ". Christophe Bigot propose aux auteurs plusieurs moyens d'éviter ces dangers : préciser que l'accusé conteste les faits quand c'est le cas, apporter les éléments à décharge et rappeler en première page ce qu'est la présomption d'innocence. C'est d'ailleurs précisément sur ce point qu'avait été attaqué un des livres dont il s'occupait . Son éditeur, Flammarion avait perdu. "Nous avions dû rajouter un rappel dans le livre", se souvient Christophe Bigot.
L'argument de la protection de la vie privée est tout autant utilisé que celui de la présomption d'innocence pour contester une publication. C'est un aspect que l'avocat passe au crible. "Un élément de vie privé n'a sa place dans un livre qu'à condition d'être nécessaire pour comprendre une affaire", plaide-il. Tout en reconnaissant que l'exercice n'est pas toujours simple : " parfois, une histoire criminelle, c'est de la vie privée de A à Z, comme pour l'affaire Grégory. Et c'est là tout le problème". 

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