19 août > Premier Roman France

Dans la fiction, elle porte un prénom de "princesse brûlée vive" : Diana. C’est La maladroite, une enfant martyre, morte à 8 ans sous les coups portés par ses propres parents, figure centrale de ce premier roman, inspiré d’une affaire réelle, le seul titre que publie "La brune" en août. Alexandre Seurat, l’auteur de ce texte qui prend à la gorge, a choisi de raconter le calvaire muet d’une fillette battue uniquement à travers les récits directs, extérieurs et rétrospectifs de ceux, des adultes pour la plupart, qui ont croisé son chemin de croix : grand-mère et tante maternelle, enseignants, directrices d’école, médecins scolaires, médecin légiste, pédiatre hospitalier, gendarmes, assistante sociale, frère aîné… C’est là la force de ce roman choral : reconstituer une mécanique mortelle en juxtaposant sans commentaires les voix de ceux qui ont vu et n’ont rien pu faire, de ceux qui n’ont pas voulu voir.

Quand le livre commence, il est trop tard. Il ne reste aux témoins que "l’effroi", la mauvaise conscience, la culpabilité. Leurs yeux pour pleurer. Dans le prologue, la première institutrice qui a soupçonné la maltraitance reconnaît sur la photo d’un avis de recherche le visage gonflé, la "façon pathétique de faire bonne figure", de la petite fille qu’elle a eue en classe quelques mois plus tôt. Puis les proches, la mère et la sœur cadette de la jeune mère de Diana, retracent chacune de son point de vue, l’histoire d’une petite fille non désirée, née après un premier garçon d’un autre père, l’accouchement sous X et la rétractation de la mère un mois après l’abandon, l’isolement progressif de cette famille dans laquelle naîtront ensuite quatre autres enfants. S’accumulent dans une chronologie glaçante les premiers signes, les premières alertes. Plus tard, il y aura bien convocations, signalements, lettre à l’inspection académique, au conseil général, saisie du parquet, de l’aide sociale à l’enfance… Sans suite.

Le roman, tout en sobriété brute, fait exister la barbarie en creux, sans détailler les sévices. La violence siège aussi dans les silences de Diana, dans sa loyauté envers ses bourreaux, sa complicité même lorsqu’elle nie les tortures, reprend mot pour mot les scénarios élaborés par ses parents qui invoquent les séquelles d’un accident, une grave maladie handicapante expliquant "sa maladresse", justifiant les chutes, les blessures et les cicatrices qui marquent le corps de leur fille, unique souffre-douleur de la fratrie. Mais la fiction ne refait pas le procès. Ainsi exposés, les témoignages présentent sans juger un faisceau d’impuissances, d’inconscience, un enchaînement de négligences, de manque de coordination des institutions, de procédures trop lentes ou inadaptées… Et les éclats de rire de la fillette, ses rares mots, rapportés en italique, résonnent longtemps d’un intolérable écho. Véronique Rossignol

22.05 2015

Auteurs cités

Les dernières
actualités