6 septembre > Essai France > Mathieu Terence

L’historien commence par le début et finit par la fin. Du moins le croit-il. L’essayiste commence par le milieu et finit souvent nulle part. C’est-à-dire dans l’essentiel, à la croisée des destins. Celui de Mina Loy se situe à l’intersection de celui d’Arthur Cravan. Elle le dit. "Tout a été amusant dans ma vie, sauf de perdre Arthur Cravan." Son poète boxeur, neveu d’Oscar Wilde, a disparu en mer au large du Mexique en 1918.

Pour le reste, amusant, c’est vite dit ! D’abord parce que les avant-gardes ne sont pas rigolotes. Marinetti était misogyne, Pound antisémite, Joyce abscons, Gertrude Stein babillarde, Picabia rastaquouère, et Duchamp déjanté. On parlerait donc volontiers de grosse fatigue.

La vie personnelle de Mina Loy n’est pas drôle non plus. Elle laisse mourir son père seul à Londres, son fils décède à 14 ans d’un cancer. Tout cela n’est pas très "amusant". Mais c’est passionnant. Surtout quand on possède, comme Mathieu Terence, ce ton particulier pour brosser une époque - les années 1910 - et se saisir d’un caractère de femme séductrice, que l’on suit, dans ses passions et ses drames, entre Paris, New York, Florence et Mexico.

C’est dans ce jeu de l’amour et du hasard que la Britannique Mina Lowry (1882-1966) devient Mina Loy, poétesse, peintre et bohème. Elle a du style, quand elle décrit sa mère despotique. "Son corset grinçait du secret affront que la vie lui avait fait." Elle a de l’élégance quand elle évoque Cravan, sa révélation charnelle et intellectuelle. "J’ai trouvé l’homme avec qui mon esprit peut faire toute la route." D’autant que son époux n’envisage pas de fin à cette liaison. "Comment pourrions-nous mourir ? Nous n’avons pas fini de nous parler ?"

On l’a compris, cet essai biographique se déguste avec un plaisir de gourmet quand on apprécie les caractères hors normes. Comme Cravan "rentre à cloche-pied dans les conversations", Mina Loy rentre à cloche-pied dans la vie en bousculant les usages et les convenances.

Mathieu Terence a souvent dit, dans ses romans comme dans ses essais, son appétence pour la mélancolie, les hôtels, les voyages. Mina Loy réunit tout cela, sauf la mélancolie. Elle ne se retourne jamais sur son passé. Il est en elle. Eperdument. Laurent Lemire

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