Avant-Portrait

Enfant, Fernanda Melchor rêvait de devenir détective privée ou agent du FBI. Un choix orienté par la série X- Files et le film Le silence des agneaux. Mais elle est « née du mauvais côté du Río Grande », plus précisément à Veracruz, une cité portuaire du golfe du Mexique. « Il y règne une ambiance tropicale », raconte-t-elle, mais cela n'est qu'apparence. « Loin du rêve touristique, on assiste à une violence inouïe ». Avec la télévision et la bande dessinée, la littérature comble les journées de l'adolescente solitaire. « Cela me permettait de tout oublier. » D'où l'envie de devenir écrivaine. Fernanda Melchor publie sa première histoire à 18 ans. Elle évite de faire des études littéraires, « afin de rester libre dans [son] écriture ». Le journalisme combine cette passion à celle d'enquêtrice. Elle choisit donc ce métier risqué au Mexique, et mal payé. « Tant de journalistes sont portés disparus ou assassinés ici. Tous ne sont pas des héros. Certains participent à la corruption. » La question de la corruption est au cœur de son travail, et ses modèles affichés sont Truman Capote et Emmanuel Carrère. « Dès qu'on se sert des mots, on crée de la fiction. Mes romans s'inspirent de la réalité. Ils aspirent à approcher de la vérité, même s'il y en a plusieurs. »

Peurs et rancœurs

Longtemps, les femmes n'ont pas été entendues ou reconnues dans la littérature sud-américaine. Mais le regard évolue sur ces femmes « courageuses, car elles risquent tout pour écrire ». Selon Fernanda Melchor, « les lecteurs ont enfin accepté ces histoires humaines, abordant la maternité ou la violence domestique ». La saison des ouragans,qui paraît le 20 mars chez Grasset, en est une parfaite métaphore. Ce conte, tiré d'un fait divers, se passe dans le village de La Matosa. C'est là qu'on découvre le cadavre de la Sorcière. Qui était-elle ? Pourquoi a-t-elle été massacrée ? Plusieurs voix s'entrelacent pour retracer son histoire. « A Veracruz, j'ai grandi parmi les religions, la magie et le surnaturel. La Sorcière incarne la femme forte, celle que les hommes désirent et craignent, explique Fernanda Melchor. L'amour peut aisément se transformer en haine. Ainsi le féminicide représente un acte soi-disant libérateur. » Un acte impuni comme les meurtres d'homosexuels ou de transsexuels.

« Comment en sommes-nous arrivés là ? » s'interroge l'auteure. Révoltée, elle relève que « cette société mixte traverse une crise identitaire. Elle se traduit par le racisme, l'homophobie ou la misogynie ». Cette crise traverse le monde actuel, replié sur lui-même. Fernanda Melchor redoute cette mise à l'index de l'inconnu, qui peut mener aux extrêmes. « On est tous victimes de brutalités familiales ou communautaires, mais de là à traverser la frontière du crime. Tous mes personnages ont été abusés et abusent d'autrui. Ils survivent plus qu'ils ne vivent. Comment briser ce cercle infernal ? »

On peut se demander si alors l'amour est encore possible. « Dans ce roman, ce mot est exclu. A force d'élever les enfants dans la violence et la soif d'amour, ils ne savent pas comment faire. »Il est ainsi question du corps, du désir, des frustrations et de ce que l'on transmet. « J'aime être Mexicaine car cette culture s'avère si riche, mais si contradictoire », affirme Fernanda Melchor qui ne croit pas au destin car « malgré la pauvreté, le manque d'éducation ou d'emploi, on peut faire des choix ».Elle a fait celui de susciter de l'empathie à travers ses romans, ses nouvelles ou le scénario d'une série pour Netflix. « Le monde que je décris est bien noir, on a cependant besoin de lumière, d'union sociale et d'espoir. »

Fernanda Melchor
La saison des ouragans
Grasset
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 20 euros
ISBN: 9782246815693

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