20 avril > Roman Irlande > Neil Jordan

Le statut du narrateur, un détective privé d’origine anglaise, expatrié dans une ville générique de la Mitteleuropa post-soviétique, peut mettre sur une fausse piste : faire passer Dans les eaux troubles pour un pur roman noir. Livre de genre, ce quatrième roman traduit en français du cinéaste irlandais Neil Jordan (Entretien avec un vampire, The crying game, The end of the affair, Michael Collins…) l’est en partie seulement. On y trouve bien un crime et une enquête : des parents font appel aux services de l’agence de Jonathan pour retrouver leur fille Petra, portée disparue depuis douze ans. Mais ce mystère qui traverse le roman de bout en bout n’est qu’un des fils que tire l’écrivain qui s’attache aussi à une autre quête plus intime. Le détective qui s’occupe surtout d’affaires d’adultères et de contrefaçons est en effet un mari trompé. Un jaloux perdu, en proie à des émotions qui ne sont pas revanchardes mais plutôt un ressentiment sourd et persistant qui l’enveloppe comme un brouillard. Une jalousie dont il se sert aussi parfois dans son travail comme d’un paradoxal aiguillon. Le couple tente de sortir de la crise en consultant un thérapeute. Pour les besoins de son enquête autant que pour des motivations personnelles, le détective se rend chez une voyante qui délivre de mystérieux oracles. Il monte des impostures et des filatures dans une ville moite en proie à des émeutes. Un soir, il sauve de la noyade une jeune violoncelliste.

Doucement, le trouble s’empare de son esprit. La réalité, la rationalité s’altèrent. Au sein de sa propre famille vacillante, sa petite fille qui vit entourée d’amies imaginaires fait preuve d’un étrange goût pour les fantômes. La frontière entre ces vivants, des "cœurs blessés", et les morts devient incertaine. Neil Jordan installe avec beaucoup de justesse cette atmosphère subtilement empreinte de surnaturel et d’ésotérisme, ce monde flottant de fantasmes et de superstitions, d’obsessions froides qui défient la logique. "Chaque mot que j’avais prononcé était véridique et pourtant chaque mot était un mensonge, comment était-ce possible ?" V. R.

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