Flammarion - 1996-2012 : France-Italie et retour

Flammarion - 1996-2012 : France-Italie et retour

Alors que RCSMediagroup vient d'accepter l'offre de Gallimard pour le rachat de Flammarion, l'historien Pascal Fouché, directeur des éditions du Cercle de la Librairie, apporte un petit éclairage historique sur les changements de main successifs de la maison fondée par Ernest Flammarion en 1875

avec pf Créé le 15.04.2015 à 21h00

De la vente à Rizzoli au rachat par Gallimard, l'histoire récente de Flammarion se déroule comme une saga en trois épisodes.

Premier épisode (1996-2000) :
Quatrième groupe d'édition français après le Groupe de la Cité, Hachette et Gallimard, Flammarion, qui a réalisé en 1995 un chiffre d'affaires de 1,089 milliard de francs, décide en novembre 1995 d'introduire une partie de son capital au second marché boursier. Son capital social est alors divisé en 1 989 136 actions de 25 francs chacune. Charles-Henri Flammarion son P-DG, justifie cette opération par le fait de trouver de nouvelles ressources financières pour financer son développement en procédant notamment « à des acquisitions et pour développer une activité significative dans le domaine du multimédia ». Après un pacte d'actionnaires signé le 30 mai 1996 entre les trois frères, Charles-Henri, Alain et Jean-Noël Flammarion, qui possèdent chacun 25,90 % des actions, et les autres actionnaires familiaux (descendants de Charles) qui en possèdent 5,91 % leur donnant un droit de préemption en cas de vente, c'est le 20 juin 1996 que Flammarion introduit 16 % de son capital en bourse au prix de 270 francs l'action. Après un sommet à 311 francs, l'action descendra progressivement jusqu'à 230 francs et 24,50 euros en février 1999. La faiblesse de ce cours fait naître des rumeurs sur une vente possible de l'entreprise. Charles-Henri Flammarion, commentant son chiffre d'affaires pour l'année 1998, ne rassure pas vraiment : « Nous avons refusé des offres très intéressantes, dit-il, mais on ne peut pas dire que l'on résistera toujours », tout en précisant que ce n'est pas à l'ordre du jour.

L'année 1999 est riche en investissements : en février, rachat de la société belge Caramel ; en septembre, apport des 3 librairies Flammarion de province aux Librairies du Savoir contre 23,5 % du capital ; en octobre, acquisition des éditions Casterman ; en décembre, prise de participation de 18,07 % dans le capital des Presses Universitaires de France. Le chiffre d'affaires 1999 s'établit à 1,109 milliard de francs (169 millions d'euros), à peu de chose près celui de l'année précédente, sans intégration de Casterman. En avril 2000, une prise de participation (27,68 % + 19, 3 %) dans la holding d'Actes Sud finit de rendre le groupe attractif. Flammarion est devenu le troisième éditeur français derrière Hachette et Havas. Le chiffre d'affaires 2000 atteindra 1,280 milliard de francs (195 millions d'euros).

Lorsque Charles-Henri Flammarion est contacté par Rizzoli qui cherche à prendre une participation dans une maison française (Gallimard a refusé et Flammarion, seul groupe d'édition coté, est identifié comme un partenaire potentiel), il commence par refuser mais finit par tenter ce qu'il appellera lui-même un coup de poker : « Si vous m'offrez entre un milliard et un milliard cent millions de francs, je vends la maison », dit-il à son interlocuteur, Giorgio Frasca, président de Fiat France, qui est l'intermédiaire de RCS MediaGroup. Il dira qu'il n'aurait jamais proposé la vente à un éditeur français de peur que le groupe ne soit pas préservé dans son intégralité. La transaction est conclue pour un peu plus d'un 1,02 milliard de francs (Rizzoli paie 78,174 euros l'action pour les 1 545 351 qui représentent 77,69 % du capital aux trois frères Flammarion), avec le projet de constituer un réseau européen de maisons d'édition à partir de Rizzoli en Italie et Flammarion en France. La vente, restée confidentielle - seuls les frères Flammarion et leur mère sont dans la confidence - est annoncée par un communiqué interne le 17 octobre 2000 peu avant 19h. « Vous comprendrez que, si j'ai fait ce choix pour la maison que ma famille contrôle et dirige depuis 1876, écrit Charles-Henri Flammarion qui annnonce qu'il reste à la présidence de la société, c'est par conviction profonde que cette décision difficile est la meilleure pour l'avenir de nos marques, de nos auteurs, de nos lecteurs, de nos clients et de tous les collaborateurs engagés dans le développement de Flammarion ». Alors que tous les éditeurs sont en partance pour la Foire du Livre de Francfort qui commence le lendemain, elle fait l'effet d'une bombe dans un secteur peu habitué à ce type de décision inattendue. D'autant que c'est la première fois qu'un éditeur de littérature générale est repris par un groupe étranger et qu'avec Gallimard, Le Seuil et Albin Michel, Flammarion fait partie des quatre grandes maisons indépendantes françaises : la « bande des quatre » ; « C'est comme quand quelqu'un quitte la table dans une partie de cartes », déclare Antoine Gallimard à Francfort.

à midi, juste avant l'annonce de la transaction, l'action Flammarion a été suspendue à 42,50 euros et on s'aperçoit que depuis le mois de septembre elle a fait un bond de 33 %. Dès le lendemain on parle de fuites possibles et de délit d'initié et quelques jours plus tard la Commission des opérations de Bourse débarque chez Flammarion. Claudio Calabi, qui dirige RCS, démissionne officiellement pour raisons personnelles le 7 février 2001. En fait il a fait acheter 9 790 actions de Flammarion par son frère entre le 4 et le 17 octobre 2000. Il sera condamné par la COB le 15 janvier 2002 à 600 000 euros d'amende. En novembre 2000, RCS a racheté les actions qui lui manquaient en faisant une offre d'achat à 78,20 euros par action qui lui permettra de retirer Flammarion de la bourse en mai 2001 et d'en posséder 100 %.

Deuxième épisode (2001-2011) :
Charles-Henri Flammarion, qui s'était engagé à rester trois ans, quitte la société en novembre 2003. Rizzoli le remplace par Ferruccio de Bortoli puis débauche Teresa Cremisi, bras droit d'Antoine Gallimard, pour lui en confier la direction puis en 2010 la vice-présidence de RCS Libri, la branche livres du groupe. Rizzoli revend les parts des Librairies du Savoir, vend Flammarion Médecine dont l'activité est trop particulière et pour laquelle les investissements dans le numérique auraient été importants, revend Delagrave, et selon un accord passé avec Actes Sud leur rétrocède 19,3% des actions que Flammarion avait acquises. Le chiffre d'affaires de Flammarion passe de 195 à 220 millions d'euros (hors éditeurs distribués, 277 millions distribution comprise).

Troisième épisode (juin 2011-juin 2012) :
Apprenant les difficultés et l'endettement du groupe RCS, Antoine Gallimard aurait proposé en juin 2011 de racheter Flammarion pour 260 millions d'euros. Les Italiens font la sourde oreille. Au début de l'année 2012, RCS et Flammarion démentent des rumeurs persistantes de vente émises par la presse italienne depuis le 27 décembre. L'endettement du groupe italien est tel qu'il lui faut trouver des solutions et la vente de Flammarion en est une. Antoine Gallimard dont le nom est cité par l'agence Reuters le 17 janvier, dément encore le 18 dans Livres Hebdo : « Flammarion n'est pas à vendre. Je n'ai pas fait de proposition ». Mais un comité exécutif de RCS le 19 janvier évoque la cession possible d'actifs et relance aussitôt les supputations. Tous les administrateurs ne sont pas d'accord sur les mesures à prendre et le conseil doit être renouvelé. Rien ne sera fait avant. Reuters encore annonce le 31 janvier qu'outre Gallimard les groupes La Martinière et Editis sont intéressés ; on parlera aussi d'HarperCollins. La Martinière dément. Editis ne fait pas de commentaires, mais regarde le dossier. Le groupe français se serait sans doute bien vu grossir, mais son actionnaire, le groupe Planeta, est loin d'avoir rentabilisé son achat en 2008. Le 7 mars, Gallimard confirme sa candidature et annonce qu'il a fait une offre ; le 16 mars la maison est officiellement à vendre même si le conseil de RCS peut encore changer d'avis. Au même moment, on apprend successivement qu'Albin Michel et Actes Sud sont intéressés et qu'ils se rapprochent même pour faire une offre commune mais RCS, au moment où sa banque Mediobanca ouvre la « data room » aux acheteurs potentiels, ne veut qu'un interlocuteur. Albin Michel reste seul avec l'appui du fonds d'investissement Chequers Capital. Pour Albin Michel, le pari industriel est cohérent : il n'a ni distribution ni collection de poche (même s'il est actionnaire du « Livre de Poche ») alors que Gallimard a les deux, mais Francis Esménard trouve le prix à payer trop élevé et jette l'éponge le 22 mai. Le 25, RCS annonce que son conseil d'administration a décidé de poursuivre la négociation avec Gallimard seulement ; RCS estimait Flammarion à 300 millions d'euros, Gallimard à 200 millions, la négociation s'annonçait rude mais les points du vue se sont manifestement rapprochés et elle ne durera qu'un mois.

Mardi soir RCS a annoncé qu'il acceptait l'estimation de Gallimard à 251 millions d'euros qui revient à en payer 234 ; c'est moins qu'attendu, mais la crise est passée par là. Gallimard, qui espérait sans doute un prix plus près de 220 millions, est satisfait. Antoine Gallimard parvient à ce que Flammarion redevienne un groupe Français et montre qu'une maison indépendante croit encore suffisamment en l'avenir du livre pour investir dans l'édition au lieu de le laisser aux fonds d'investissements. Un beau signe d'espoir à l'heure où le numérique fait douter tous les acteurs de la chaîne du livre.

Le chiffre d'affaires des deux maisons réunies va dépasser les 500 millions d'euros loin encore derrière Hachette et Editis mais constitue, en France, un troisième groupe qui va, symboliquement, peser lourd.

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