Essai

Florence Delay, "Il n'y a pas de cheval sur le chemin de Damas" (Seuil) : Bestiaire spirituel

Florence Delay - Photo © Ulf Andersen Aurimages Presse/Le Seuil

Florence Delay, "Il n'y a pas de cheval sur le chemin de Damas" (Seuil) : Bestiaire spirituel

Notant que saint Paul n'est pas tombé de son cheval sur le chemin de Damas, Florence Delay se penche, dans un texte entre souvenirs et réflexion, sur la présence des animaux dans le christianisme.

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Par Sean Rose
Créé le 01.04.2022 à 11h00

Désarçonné est l'épithète qu'on utilise métaphoriquement pour dire qu'on est tombé, non pas de sa chaise, pis, de son cheval. Le cheval de ses propres certitudes qui galope, avec des œillères, vers ce qu'on prend pour la réalité. Saül, un pharisien originaire de Tarse, va sur le chemin de Damas poursuivre son travail d'extermination des disciples de Jésus. C'est alors que la voix de ce dernier lui demande pourquoi il le persécute, lui, Jésus, qui est son seigneur. Toujours selon les Actes des Apôtres, le persécuteur des chrétiens perd la vue pendant trois jours. À la suite de quoi, il se fait baptiser et guérit : Saül devient Paul, il rédigera des épîtres qui seront incorporées au Nouveau Testament.

L'épisode du chemin de Damas est un motif bien connu de l'iconographie chrétienne. Pour preuve : le Caravage de la basilique Sainte-Marie du Peuple à Rome, où le futur apôtre en jeune homme glabre, et les yeux clos, est figuré terrassé par la lumière divine, près de son cheval... Or de cheval, il n'y avait point. Florence Delay a beau lire et relire le passage : pas de canasson ! L'absence de l'animal dans cette séquence damascène souligne en creux l'omniprésence des bêtes dans l'imaginaire chrétien. Son dernier livre Il n'y a pas de cheval sur le chemin de Damas est un véritable bestiaire en forme de réflexion sur la place des animaux dans la spiritualité de la religion du Dieu vivant. L'écrivaine qui incarna la sainte domrémoise dans Procès de Jeanne d'Arc de Robert Bresson (1962) ne manque pas d'en pointer l'importancedans La légende dorée de Jacques de Voragine et autres hagiographies.

Dès l'affaire du Déluge, c'est une colombe qui, revenant avec un rameau d'olivier dans le bec, annonce à Noé le reflux des eaux. Le saint ermite Jérôme a pour compagnon le lion, les emblèmes des évangélistes (hormis Matthieu) sont le même grand fauve pour Marc, le bœuf pour Luc, l'aigle pour Jean. Très populaire dans la péninsule Ibérique, un autre père du désert, Antoine dit le Grand(pour le distinguer de son homonyme médiéval de Padoue), est représenté flanqué d'un cochon, auquel il a miraculeusement rendu la santé. L'affection de l'anachorète pour son ami porcin, à l'instar de la dilection de saint Jean pour l'Agneau de Dieu, est telle qu'elle constitue l'aune à laquelle on mesure son amour humain. Sant Antoni es va enamorar d'un porc, sant Joan d'un be, i jo de vostè (« Saint Antoine est tombé amoureux d'un cochon, saint Jean d'un mouton, et moi de vous », dicton catalan). Plus proche encore du Christ : l'âne transportant Marie alors enceinte du futur messie, et son camarade d'étable, le bœuf, qui virent naître l'enfant Jésus dans la crèche. Merveilleux de la joie, tendresse de l'accueil, innocence du regard... Pour Florence Delay, qui tresse souvenirs et érudition dans ce joli texte hybride entre Mémoires et réflexion, les animaux c'est « l'esprit d'enfance » retrouvé.

Florence Delay
Il n'y a pas de cheval sur le chemin de Damas
Seuil
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 18 € ; 192 p.
ISBN: 9782021488562

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