Avant-critique Récit

François Sureau, "Un an dans la forêt" (Gallimard) : Brève rencontre

© Francesca Mantovani ©Editions Gallimard

François Sureau, "Un an dans la forêt" (Gallimard) : Brève rencontre

Avec Un an dans la forêt, François Sureau offre une promenade buissonnière dans les pas de Blaise Cendrars et de celle qui fut peut-être son amour, au moins sa protectrice, Élisabeth Prévost.

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Par Olivier Mony,
Créé le 03.11.2022 à 09h00

1938, rien à faire, Blaise Cendrars est triste. La chair l'est aussi, il a lu beaucoup de livres, en a écrit presque autant, a fait de beaux voyages, mais n'a plus guère d'horizon qu'au fond des verres glanés dans les estaminets parisiens. Sa fiancée est partie pour un autre et l'éternel retour n'est jamais que celui du chagrin. Bref, grosse fatigue. Jusqu'à ce qu'un jour, quelqu'un... Elle a 27 ans, vingt-quatre de moins que l'auteur de Moravagine, elle s'appelle Élisabeth Prévost. Cette riche héritière, propriétaire d'un vaste domaine perdu au cœur de la forêt des Ardennes où elle élève des chevaux, aurait pu se contenter de laisser couler sur elle la douceur des jours. Ce serait mal la connaître. Sa richesse première, c'est d'abord le goût de l'aventure. Elle, à propos de qui un Kessel admiratif a déjà pu dire, « elle a plus voyagé que moi ». Cendrars, ami proche de Lazareff, lui est présenté afin qu'il puisse éventuellement l'aider à placer des articles dans la presse. Entre ces deux « irréguliers », l'entente sera d'emblée totale, et c'est elle qui va en fait venir au secours du grand homme, perclus de plus de douleurs que de gloire. C'est une page souvent ignorée de notre histoire littéraire : elle va l'accueillir chez elle, dans sa thébaïde ardennaise. Il ne devait y passer que quelques jours, il y restera un an. Il y retrouvera le goût d'écrire, L'homme foudroyé, où la bonne hôtesse apparaît sous le nom de Diane de la Panne. Ils y partagent le goût des alcools forts, celui des lointaines contrées, se donnent à tour de rôle des « mademoiselle mon copain » (de lui à elle) ou « Bee and Bee » (pour Beth et Blaise). S'aiment-ils ? Oui. Comment ? Cela ne nous regarde pas. De toute façon, la guerre est là qui va les séparer à nouveau, mettre fin à cette année en forme de parenthèse enchantée. Ni fleurs ni couronnes, ils ne se reverront pas, ne s'oublieront jamais.

Un an dans la forêt, donc. Profonde. Secrète. Titre du nouveau livre de François Sureau comme indication de l'endroit d'où il écrit. Ces territoires incertains où s'évanouissent ensemble l'Histoire et la géographie sont ceux d'élection de l'auteur du Chemin des morts ou de L'or du temps (Gallimard, 2013 et 2020) lorsqu'il taquine le romanesque. C'est-à-dire lorsqu'il prend son temps. C'est le cas ici tant il s'ingénie avec une grâce folâtre à retarder l'heure du rendez-vous du lecteur avec Blaise et Élisabeth. Car ce dont il sera question ici, c'est aussi, c'est peut-être d'abord, de cette France voisine de la Belgique et vice-versa. Les anecdotes abondent sous la plume inspirée de notre frais académicien comme celle de ce jour où, à la tête de son bataillon militaire, Cendrars envahit la Belgique sans même s'en rendre compte... Bref (car il a également l'élégance de savoir l'être), François Sureau avance à pas de loup vers les Ardennes et ses héros. Foin de psychologie, tout en érudition gaie, il montre, il suggère. Cendrars et Prévost sont des enfants du siècle ; ils en sont les acteurs et les victimes. La guerre, les guerres, les auront laissés là. N'empêche, entre-temps, ils auront rêvé très fort d'autres vies possibles. Ces rêves, surgis de la forêt profonde de la mémoire, sont admirables.

François Sureau
Un an dans la forêt
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 12,50 € ; 96 p.
ISBN: 9782072985232

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