8 SEPTEMBRE - ROMAN Allemagne

Katharina Hacker- Photo TOVIA MATOFF VERLAG/C.BOURGOIS ÉDITEUR

Outre-Rhin, on la compare à Virginia Woolf dans sa manière singulière de saisir le bourdonnement de la pensée et de la sensation. Elle s'appelle Katharina Hacker, elle est née en 1967, et c'est une des voix prometteuses de la littérature allemande contemporaine. Comment des fraises peuvent-elles être l'objet de tant d'attention de la part d'un romancier ? se demande-t-on, intrigué par le titre de son dernier roman. Réponse dès les premières pages. Anton, médecin berlinois, s'inquiète des premiers symptômes de la perte de mémoire de sa mère, Hilde. Elle a pleuré au téléphone quand elle a compris que, pour la première fois, elle avait oublié de planter ses fraises. Un rituel de printemps qui remonte à l'enfance d'Anton. Cette année, Hilde se retrouve devant des pots de confiture aussi vides que sa propre mémoire. Le monde dans lequel elle vivait se délite, et dans sa tête c'est l'obscurité totale : "C'était un contact désagréable comme quand on touche un endroit blet sur une pomme qu'on avait crue intacte." Pour Anton, le dilemme se pose, cruel : va-t-il lui faire croire qu'elle n'a pas oublié de les planter ou lui dire la vérité ? A-t-on le droit de vouloir consoler quelqu'un avec un mensonge ? Une question cruciale qui traverse le roman et lui fournit toute sa tension dramatique. D'autant que, la vérité, Anton y est confronté toute la journée avec les patients de son cabinet médical. Une trouée de lumière vient pourtant éclairer sa vie solitaire. Il vient de rencontrer Lydia, une jeune femme médecin elle aussi, qui a une petite fille dont le père est Rüdiger, un ancien légionnaire qu'elle refuse de revoir. Rüdiger a un ami, Martin, au passé douloureux et violent, comme lui, qui suit Lydia et Anton partout, jusque dans le petit village où habite la mère d'Anton. Tous deux sont des êtres vaincus qui "avaient appris qu'il n'existait aucun endroit où ils pouvaient rentrer comme si rien n'était arrivé. La défaite excluait le retour et chacun restait avec soi". La romancière multiplie les points de vue narratifs, passant de l'inquiétude d'Anton aux absences de Hilde et à la folie de Martin. Le lecteur doit cheminer parmi les courants de conscience, les sensations des uns et des autres comme parmi les allées des fraisiers. Le livre court vers la scène finale, où tous les personnages sont réunis pour une cueillette de fraises mémorable. Aux antipodes de celles, idylliques, qu'Anton a connues, enfant. Les fraises sont des métaphores du souvenir. Les fruits vivaces, d'une belle couleur rouge et luisante, se sont désagrégés, entamés par des limaces "obscènes et désespérées", secrétant leur atroce mucus. Ce livre fort et âpre sur le souvenir ne se laisse pas aimer au premier abord, mais il sonne juste et résonne longtemps.

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