La semaine dernière, la capitale de Madagascar et d’autres villes du pays ont connu des émeutes et des pillages comme il n’y en avait pas eu depuis longtemps – et même jamais à Tana, disent certains. Parmi les victimes des dégâts collatéraux, une librairie, Lecture & Loisirs. Je ne sais si Sylvie parviendra à la remonter, je l’espère car elle manquera, elle manque déjà. Le terrain occupé par le livre est ici si étroit que toute érosion est une catastrophe. Cela donne envie de fuir la ville. Ou au moins la société, ses codes, ses obligations diverses, ses dérapages… Lady Slane l’a fait, elle. Oh ! elle a attendu d’avoir 88 ans et d’être veuve. On peut donc juger son audace toute relative. Mais, dans le monde que décrit Vita Sackville West, ce n’est quand même pas rien. Toute passion abolie (Le Livre de poche) fait entrer lady Slane dans l’âge de la tranquillité après les honneurs et les fastes : son époux a été Premier ministre et vice-roi des Indes, ce qui en jette dans la famille. Maintenant, c’est elle qui jette, ou presque : elle se débarrasse d’une fortune en bijoux sans prendre la peine de les partager entre ses enfants ; elle loue une petite maison à Hampstead au lieu de rester prisonnière des siens qui étaient prêts à l’accueillir à tour de rôle ; elle devient l’amie du gérant-propriétaire de son nouveau logement et de l’ouvrier qui y effectue des travaux. Vous vous rendez compte ? Autant dire qu’elle se lie avec des moins que rien ! Pire encore : elle accepte la déclaration d’amour à retardement de FitzGeorge, certes milliardaire mais absolument pas préoccupé de sa fortune. Scandaleux. « Oui, elle avait fui tout cela. » Le comble est qu’elle s’en trouve bien. N’est-il pas là, le vrai scandale ? Plus radical que lady Slane, il y a Doppler, un Norvégien. Normal jusqu’à un certain point : une maison en ville, une femme, deux enfants, un boulot, de l’argent. Normal, en tout cas, jusqu’à sa chute de vélo. Erlend Loe n’a pas cherché très loin le titre du roman dans lequel il raconte la rupture de ce personnage avec la civilisation : Doppler (10/18) – dans l’édition originale aussi, ce n’est pas une facilité de la traduction française. Et notre Doppler d’embarquer sa tente dans la forêt, d’y vivre comme un homme des bois, obligé de tuer un élan et d’adopter son petit. Obligé aussi, après un certain temps, de supporter des voisins qui, tout compte fait, vivraient bien comme lui dans la solitude – sinon que ce n’est plus de la solitude quand les hommes, animaux sociaux, se regroupent. Fuir la ville, c’est surtout fuir les autres. Renoncer aussi aux passages du facteur, à la connexion Internet… C’est décidé, je reste !
15.10 2013

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