22 mars > Roman France > Hugues Sagan

Dans le polar français, il y a deux écoles : les "manchettiens" et les autres. Et parmi ceux pour qui Jean-Patrick Manchette n’est pas le point de départ et d’arrivée du style en matière de roman noir, nombreux sont ceux qui en tiennent plutôt, ou aussi, pour Hugues Pagan. La mort dans une voiture solitaire (Fleuve noir, 1982), Les eaux mortes (Rivages, 1986) ou Dernière station avant l’autoroute (Rivages, 1997) dirent peut-être mieux que tout autre l’état de déréliction poisseuse de notre pays à la fin du siècle dernier, traversé dans leurs pages par quelques desperados au romantisme noir. Depuis vingt ans pourtant, réfugié dans un hameau de Charente, Pagan n’écrivait plus sinon des séries, policières le plus souvent, pour la télévision ; comme si la tristesse constitutive de ses livres avait fini par l’emporter aussi. C’est donc dire l’événement que constitue la publication de Profil perdu, par lequel il revient au roman. Ecrivons-le d’emblée, inutile à tout lecteur qui n’aurait pas été convaincu par les livres précédents de retenter sa chance tant cet opus, magnum tout de même, est "paganissime", concentrant toutes les obsessions et lignes de fuite de l’auteur.

Soit, une nuit de réveillon en 1979. Un commissariat d’une ville oubliée par la beauté quelque part dans l’est. Un homme seul, qui fume trop, boit trop, roule trop dans sa Lincoln Continental et ne dort pas assez. Il s’appelle Schneider, c’est un flic, chef du Groupe criminel, pas si vieux, mais bien assez pour en avoir déjà trop vu, figure solitaire des à-côtés clandestins de la cité, témoin impuissant de la force de ses réseaux. Là tout n’est que désordre, crime, nuit, fatigue et bal des fantômes. Schneider, qui a renoncé à tout sauf "à éprouver le plus grand chagrin possible avant de mourir", va chercher à comprendre pourquoi l’un de ses collègues s’est fait flinguer par un tireur à moto et qui est cette Cherokee, coup de foudre de fin de parcours, si ce n’est le visage de sa mort.

Se jouant en virtuose des codes du genre, Pagan mène son récit là où il doit aller : vers l’horizon et le silence. Ce serait bien de ne pas attendre vingt ans encore pour affirmer qu’il demeure le "boss". Olivier Mony

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