Avant-critique Essai

Guillaume Alonge, Olivier Christin, "Adam et Ève, le paradis, la viande et les légumes" (Anacharsis)

Olivier Christin. - Photo © Hannah Assouline

Guillaume Alonge, Olivier Christin, "Adam et Ève, le paradis, la viande et les légumes" (Anacharsis)

Guillaume Alonge et Olivier Christin reviennent sur la controverse religieuse et médicale sur l'alimentation d'Adam et Ève qui eut lieu au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles.

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Par Laurent Lemire
Créé le 15.04.2023 à 11h00

Un régime divin. Que mangeait-on avant le Déluge ? La question peut paraître absurde à une époque où les régimes rivalisent d'ingéniosité, du flexitarien au troisfoisrien. Pourtant, l'interrogation fut importante entre la fin du XVIIe siècle et le milieu du XVIIIe. Théologiens, philosophes, juristes, naturalistes et physiologistes ont bataillé pour savoir de quoi Adam et Ève se nourrissaient au paradis. Sur la piste de cette première bouchée de viande, les historiens Guillaume Alonge (université de Neuchâtel) et Olivier Christin (École pratique des hautes études) proposent un ouvrage original, érudit, accessible et nourrissant pour l'esprit. Leur enquête nous permet d'y voir plus clair dans cette querelle alimentaire qui rompt avec les idées reçues et fait écho à nos préoccupations contemporaines.

D'abord sur le végétarisme. Il n'est pas, comme on veut le croire aujourd'hui, la conséquence du triomphe de la raison et de la déchristianisation. « Les enquêtes les plus méticuleuses montrent parfaitement que la Réforme protestante et son rejet des règles traditionnelles de l'abstinence puis la déchristianisation se sont souvent traduits par une progression de la consommation de viande dans les pays d'Europe du Nord protestants comme dans les pays restés fidèles à Rome. » À une époque de lutte religieuse, notamment dans le monde monastique, savoir si Dieu avait interdit la consommation de chair n'était pas sans conséquence. Adam et Ève étaient-ils les premiers végans dans le jardin d'Éden ? Un théologien protestant émet l'hypothèse de la consommation de viande au paradis tandis qu'un médecin défend un Éden végétarien en s'appuyant sur le mécanisme de la digestion. La Bible sert alors à fonder une partie des systèmes et des hypothèses chez les savants comme chez les religieux. On assiste à une historicisation de la Genèse avec la redécouverte d'Adam et Ève comme des personnages réels. Trancher la question de la viande entraîne des disputes saignantes que l'on retrouve dans les gazettes, certains n'hésitant pas à qualifier les travaux sur la digestion de cacata charta, littéralement « papier de merde ». « Le débat sur ce qu'avait été la diète d'Adam et Ève nous a semblé constituer à la fois un jalon majeur dans l'histoire du végétarisme et un exemple presque idéal des enjeux de la révolution scientifique des XVIIe-XVIIIe siècles. »

C'est à ce moment que l'on a associé cette diète idéale à la longévité ou aux avantages de la minceur. Cette controverse qui touche à l'exégèse, à la théologie morale, aux sciences de la nature, à l'anatomie comparée et à l'hygiène alimentaire n'a pas été sans conséquence sur la manière dont nous pensons encore notre rapport aux produits animaux et au vivant. Aujourd'hui, certains courants évangélistes américains vantent le régime non carné d'avant la Création et on constate l'alliance entre créationnisme et végétarisme. Au carrefour de la condition animale, de l'alimentation, de la gastronomie et de la religion, cet essai éclaire d'une autre façon notre lien à la nature.

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