23 AOÛT - ROMAN Haïti

Gary Victor- Photo LAHHEL FRERES/PHILIPPE REY

Ecrivain très lu en Haïti, le prolifique et protéiforme Gary Victor, qui est aussi journaliste et dramaturge, était quasi inconnu en France. Injustice réparée grâce à Maudite éducation, un roman initiatique et douloureux, sans doute largement autobiographique. L'histoire d'un garçon sensuel et timide, écrasé par la figure de son père - professeur, journaliste, écrivain, homme de culture et humaniste - qui s'affirme peu à peu et finira par devenir à son tour écrivain et chroniqueur au ton très libre, dans un pays misérable et martyrisé par les dictatures successives.

Tout gosse, Carl Vausier est obsédé par le sexe. En cachette de ses parents pieux et rigoureux en matière de morale, il prend l'habitude de fréquenter des prostituées dans des quartiers louches. Il en rapporte dégoût de soi et maladies ! Avec les autres filles, paralysé par sa timidité et son physique qu'il juge ingrat, il n'arrive à rien : pas avec les trois Michèle, en tout cas. Alors, il s'inscrit à un concours de correspondance, adressant des missives enflammées et audacieuses à une certaine Coeur Qui Saigne, laquelle semble répondre en retour à sa flamme. Mais l'histoire de la jeune fille est dramatique, et Carl devra patienter longtemps, supporter de nombreuses épreuves avant de pouvoir enfin faire l'amour avec elle, Chantal dans la vraie vie. Une seule fois, avant qu'elle ne se venge d'un colonel qui la tyrannise...

L'intrigue avec Coeur Qui Saigne est au centre du récit de Gary/Carl, mais différents événements s'y imbriquent. L'écrivain en herbe, dont l'imagination précoce s'enfièvre vite, et qui vit un peu dans un monde à part peuplé d'esprits - à Haïti, le surnaturel n'est jamais bien loin -, invente, raconte d'autres faits. Ou bien transcrit ceux qu'on lui a contés. Digressions qui alourdissent parfois son récit. Quand on le retrouve, en revanche, le personnage est attachant. Toute la vie, toutes les pensées de Carl tournent autour de son père. De son vivant, le fils n'osait pénétrer dans sa bibliothèque, lieu sacré entre tous. Une fois mort, à cause du délabrement des équipements hospitaliers et de l'incurie des Haïtiens, son ombre l'obsède. N'a-t-il pas succombé à 333 mètres du palais présidentiel, qui fut celui des sinistres Duvalier ? "Je n'ai aucune fierté d'être Haïtien, confie le narrateur à un moment. Mais je voudrais bien me battre pour l'être, pour que mes enfants le soient aussi. C'est ce que je fais avec mes mots..."

La voix de Gary Victor est singulière, son style bien personnel, très oral et comme habité. On sent en lui une colère qui ne demande qu'à éclater. Même si, bien sûr, il aime d'amour son "tiers d'île", comme il dit, où il se sent "en exil permanent". Il a fait le choix d'y vivre, de souffrir et d'écrire.

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