Avant-critique Récit

Hélène Frappat, "Trois femmes disparaissent" (Actes Sud) : Disparues de mères en filles

Hélène Frappat - Photo © Melania Avanzato

Hélène Frappat, "Trois femmes disparaissent" (Actes Sud) : Disparues de mères en filles

S'inspirant des trajectoires entre ombre et lumière d'une lignée d'actrices, Hélène Frappat enquête sur ce qui se joue au-delà du champ des caméras.

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Par Laëtitia Favro,
Créé le 01.12.2022 à 09h00

Quel lien existe-t-il entre Les oiseaux d'Hitchcock et Cinquante nuances de Grey ? Entre ces deux longs métrages et les snuff movies, films clandestins mettant en scène la torture, le meurtre, le suicide ou le viol d'une ou plusieurs personnes ? Trois femmes d'une même lignée. Trois actrices dont la disparition est orchestrée devant les caméras comme en dehors des plateaux de tournage. En 1961, Alfred Hitchcock aperçoit pour la première fois Tippi Hedren dans une publicité pour boisson diététique. « Find the girl! », ordonne-t-il aussitôt aux cadres du studio Universal. Tippi devient la muse du maître du suspense, immortalisée par les chefs-d'œuvre que sont Les oiseaux (1963) et Pas de printemps pour Marnie (1964). Sa muse, et sa créature. Car en dehors du champ des caméras, c'est un autre jeu qui se joue, turpide et malsain. Hitch veut Tippi pour lui seul. Tippi se refuse à lui. Le cinéaste se venge en faisant du tournage des Oiseaux un calvaire pour l'actrice. À Melanie Griffith, la fille de Tippi Hedren, il offre une petite boîte en forme de cercueil contenant une poupée miniature de sa mère, vêtue du tailleur vert amande qu'elle porte dans Les oiseaux. La fillette a alors cinq ans. Trente ans plus tard, après avoir été l'incarnation de la bande-image des années 1980, on ne lui confie plus que des seconds rôles. En 2016, c'est sa fille, Dakota Johnson, que l'on enferme dans le genre du porno soft auquel appartient Cinquante nuances de Grey, le film qui l'a pourtant rendue mondialement célèbre. Dans cette « apologie de la violence conjugale au succès planétaire », Hélène Frappat voit un miroir tendu aux deux femmes qui l'ont précédée sur les plateaux : Dakota Johnson « vient de rejouer les snuff movies auxquels sa grand-mère et sa mère, de justesse, ont échappé ».

« Dans la vraie vie, on a tendance à être retenu en arrière par l'enfant que l'on a été. C'est encore pire quand on est une actrice. Les gens ne veulent pas que vous changiez, que vous grandissiez, que vous vieillissiez. » Épiant la filmographie de trois actrices dévorées par le septième art, Hélène Frappat entraîne son lecteur dans une enquête obsessionnelle éclairant les dérives du système hollywoodien et l'emprise qu'il exerce sur les âmes et les corps des femmes. D'un tournage à l'autre, les marques de la misogynie ordinaire se répondent comme des échos auxquels, avant #MeToo, on prêtait si peu l'oreille. En empathie avec trois actrices disparues de mère en fille, l'écrivaine dépeint l'envers d'un décor dont la violence rejaillit sur grand écran- encore fallait-il oser la regarder en face.

Hélène Frappat
Trois femmes disparaissent
Actes Sud
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 20 € ; 192 p.
ISBN: 9782330174125

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