Pour son numéro de l'automne 2010, le 194 e du nom, mais le premier publié sous l'autorité de son nouveau patron, le jeune Lorin Stein (voir LH 819 du 30 avril 2010), The Paris Review publie, en morceau de résistance, un entretien fleuve avec le lauréat 2010 du Goncourt (bon là, je m'avance un peu...), soit Michel Houellebecq. Je ne saurais trop conseiller aux journalistes en mal de citations corrosives de s'y plonger avant le prochain déjeuner chez Drouant : Houellebecq, une fois de plus, ne déçoit pas. Il parle d'à peu près tout : de la (sa) famille ; de la littérature qui l'a inspiré ; de celle qui l'ennuie (Le Clezio) ; de la prostitution (il adore) ; de l'Islam (il est contre, on savait déjà) ; du mariage, ou des médias, dont il est de moins en moins sûr qu'ils fassent vendre des livres (je comprime un peu la citation) : «  Au début, je jouais le jeu des médias, parce que je voulais gagner beaucoup d'argent avec mes livres. L'argent étant la condition essentielle de l'indépendance. Mais maintenant, je suis moins convaincu de l'importance des médias pour faire vendre des livres. Marc Levy est aujourd'hui l'auteur français le plus vendu, et pourtant les journaux ne parlent jamais de ses livres. »  En même temps que paraît sur papier ce numéro 194 de TPR, la grande nouvelle c'est la mise en ligne gratuite (sur le site Theparisreview.org ) d'une partie des archives de ce précieux magazine newyorkais, né en 1953 à Paris, dans un petit bureau de La Table Ronde. La partie mise en ligne concerne précisément la série de « grands entretiens » parus dans la revue depuis ses débuts. Depuis E. M. Forster, en 1953, qui avait essuyé les plâtres du premier numéro, jusqu'à Houellebecq, le dernier en date, TPR aura publié près de 300 entretiens fleuves avec des grands écrivains (il y en a souvent deux par numéro). Le New York Times , qui a salué cette initiative numérique, souligne à bon droit la qualité de ces échanges longuement travaillés (l'interviewer a souvent rencontré son sujet à plusieurs reprises avant de rendre sa copie), «  qui pourraient faire l'objet d'une formidable adaptation théâtrale  ». A voir le casting des interviewés, on se dit - avec l'effet recul - que la liste a aussi quelque chose d'un Nobel bis. Pour la France, et s'agissant d'une revue pourtant francophile, le constat est saignant. Ils ne sont que 11 à avoir décroché la timbale (en comptant Ionesco, qui était roumain et français) : Mauriac en 1953, Sagan en 1956, Céline et Cocteau en 1964, Simone de Beauvoir en 1965, Ionesco en 1984, Alain Robbe-Grillet en 1986, Yourcenar en 1988, Nathalie Sarraute en 1990, Claude Simon en 1992, et enfin Houellebecq en 2010. On le voit : rien pour les années 1970. Et les années 1990 et 2000 consacrent le « rattrapage&» des trois principaux auteurs du Nouveau Roman qui ont défié le temps. Sans le providentiel Houellebecq, on se demande si la littérature française existerait encore à l'étranger...  Et probablement que faute de nouveau nom à se mettre sous la dent, TPR finira par « rattraper » Modiano avant qu'il ne soit trop tard... Quoi qu'il en soit, ces 11 entretiens avec des auteurs français valent tous le détour. Céline, bien sûr, est grandiose. Yourcenar est vacharde avec Colette (dont les envolées érotiques «  la ravalent au niveau des concierges parisiennes  »), et surtout elle s'exprime très longuement, ce que je n'avais jamais lu ailleurs, sur l'homosexualité. Et Sagan, à 20 ans, est pétillante comme une bulle de champagne. A la question vacharde de savoir si elle a conscience de ses limites, elle répond : «  Votre question est désagréable ! Mais si vous voulez savoir, j'ai lu Tolstoï, Dostoievski et Shakespeare. Ce qui me donne une conscience de mes limites. Pour le reste, je ne vois pas ce qui pourrait m'arrêter.  » Un peu plus tard, Sagan met fin brutalement à l'entretien, car elle doit se rendre à une émission de radio. Et l'interviewer, baba, de noter : «  On a peine à croire qu'avec un seul livre Mlle Sagan a conquis plus de lecteurs que la plupart des grands romanciers, quand on la voit, comme une jeune fille bien sage, lancer à sa mère, avant de claquer la porte de l'appartement : ‘'Au revoir maman, je sors travailler, mais je rentre de bonne heure''.  »

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