Avant-portrait

Inaam Kachachi : irakienne d’avant

Inaam Kachachi - Photo photo Catherine Hélie © Gallimard

Inaam Kachachi : irakienne d’avant

Nostalgique de l’Irak d’avant, Inaam Kachachi campe une gynécologue confrontée à la régression de la condition des femmes, à la violence et à l’exil.

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Par Kerenn Elkaim
avec Créé le 08.01.2016 à 01h05

Son nom signifie "don de Dieu". Aussi Inaam Kachachi, qui signe avec Dispersés son deuxième roman, ne peut-elle percevoir la vie que comme un cadeau, d’autant que son enfance est marquée par la polio. La maladie l’atteint dès l’âge de 3 ans. A 63 ans, elle se souvient de "[sa] famille qui [la] cajolait". La fillette a dû aussi se battre pour rattraper les années de retard cumulées à l’école. Elle choisit le métier de journaliste, qui "consiste à courir derrière quelque chose…" Un choix audacieux pour l’étudiante bagdadi, qui se promène en minijupe et tête découverte. "L’Irak d’avant prônait de vraies valeurs, estime-t-elle. Cette société civilisée, moderne et humaine était constituée de bons vivants."

Laisser émerger les histoires

Chaleureuse, volubile et joviale, Inaam Kachachi l’est indéniablement restée. Son regard bleuté a scruté des personnalités comme des inconnus. "Je me suis mise à écrire tardivement en laissant émerger ces voix et les histoires dans lesquelles j’ai baigné enfant", explique-t-elle. Elle puise aussi dans la colère emmagasinée depuis que "Bush a occupé [son] pays. L’expression romanesque est née de ce cri", dit-elle.

Ce cri ne peut que trouver sa voie en arabe. "Contrairement à mon héroïne, raconte-t-elle, je ne suis pas une réfugiée. Je suis restée en France pour terminer mes études journalistiques et découvrir d’autres horizons. Or je demeure Irakienne et Arabe d’éducation." Inaam Kachachi le confirme dans son premier livre, Si je t’oublie, Bagdad. La protagoniste de son second roman, Dispersés, ne parvient pas non plus à effacer l’Irak de sa mémoire. Wardiya est déjà une dame âgée lorsqu’elle doit quitter sa terre à cause de son appartenance à la communauté chrétienne. "Dire que jadis, toutes les communautés cohabitaient paisiblement", se souvient l’auteure, qui appartient également à cette minorité.

Elle rappelle que "la persécution des chrétiens d’Irak a commencé par l’élimination des universitaires, des journalistes et des médecins". C’est la profession qu’exerce Wardiya. Gynécologue dans un village, elle est bien placée pour observer la régression de la condition féminine. Ses patientes arrivent en détresse. Confrontée à la vie et à la mort, la vaillante doctoresse veut améliorer leur sort. Mais qui se cache sous sa blouse blanche ?

Wardiya redoute "la politique et l’amour", pas la maternité, "socle de la famille ou la patrie". Elle et ses enfants sont pourtant éparpillés autour du globe. Sa fille, autre médecin poignante, se trouve au fin fond du Canada. "Les Irakiens ont été dispersés par la violence et le cumul des guerres", souligne Inaam Kachachi, certaine que "l’exil [lui] a appris à accepter l’Autre. Ainsi, [elle a] gagné en humanité." Kerenn Elkaïm

Inaam Kachachi, Dispersés, Gallimard, traduit de l’arabe (Irak) par François Zabbal, prix : 23,50 euros, 267 p., sortie le 14 janvier, ISBN : 978-2-07-014726-7

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