Avant-portrait Rentrée littéraire > Emmanuelle Richard

Il y a trente-cinq ans, ce vieux farceur phallocrate de Marco Ferreri filmait Le futur est femme. Aujourd’hui, il suffit de lire Blandine Rinkel, Maria Pourchet ou Emmanuelle Richard pour savoir que dans notre beau pays littéraire, le futur est fille. Affaire de génération (la trentaine, plus ou moins), de ferveur, "d’engagement" corps et biens.

Prenons ainsi Emmanuelle Richard. On la dira fille puisque, après tout, c’est aussi de là qu’elle écrit. Entendons de la jeunesse, de sa mélopée furieuse, de sa poignante mélancolie. La trentenaire publie à la rentrée Désintégration, qui après La légèreté et Pour la peau (L’Olivier, 2014 et 2016), pourrait clore une sorte de cycle "auto-socio-fictionnel": une écriture de l’intime, d’une sincérité ravageuse, un complot de colère où les effets de composition viennent sans cesse bousculer le réel. "Je ne crois pas qu’écrire soit inventer. Je crois qu’écrire, c’est composer, agencer."

Dans ce roman, c’est l’histoire d’une fille d’un milieu modeste, qui, après avoir écrit un livre qui a connu un certain succès, se retrouve plongée presque avec effarement dans un monde étranger, séduisant et insupportable comme l’est ce cinéaste bien connu de la place de Paris qui l’invite à dîner pour parler d’une éventuelle adaptation. Elle se souvient de ses débuts dans la vie, de ses amis de hasard, colocs ou amoureux, qui pouvaient se payer le luxe d’avoir des préoccupations plus élevées que les siennes. Elle est comme Fitzgerald, se sentant à la fois danseur dans le plus beau des bals une nuit d’hiver et petit garçon, spectateur transi par le froid, se demandant le prix des toilettes et de l’orchestre.

Un rien méfiante

Emmanuelle Richard écrit sur ce qui la meut et la blesse - après Annie Ernaux, après Marguerite Duras et avec Guillaume Dustan, Jeanette Winterson ou Virginie Despentes -, l’obscénité et la violence. Celle infligée à ceux qui ne peuvent s’en défaire, la honte sociale, la haine de classe, le mufle hideux des mécanismes de domination. L’adolescente Emmanuelle Richard avait beau trouver navrante l’image de la solitude de l’écrivain - destin que professeurs, parents et amis lui promettaient -, elle y a quand même sacrifié, se faisant dès cette époque refuser partout un premier manuscrit. A 20 ans, une bonne fée nommée Olivier Adam l’encourage à persévérer. Bien lui en prend puisque L’Ecole des loisirs publie en 2010 un inaugural Selon Faustin qui annonce déjà la trilogie qu’elle clôt à L’Olivier.

On rencontre Emmanuelle Richard, courtoise, un rien méfiante, joliment campée sur ses positions, dans un café - entre Audiard et Giraud -, du côté de Barbès. Entre deux cigarettes, elle parle de Jean-Paul Dubois, de son ami Philippe Jaenada, de Maggie Nelson, de son plaisir d’écrire et de son envie d’aller vivre dans un pays où nul ne pourrait la lire. Puis justement, elle s’en va, et l’on s’aperçoit qu’on ne lui a pas posé la seule question qui vaille: sait-elle seulement à quel point elle est douée? Olivier Mony

Emmanuelle Richard, Désintégration, L’Olivier, Prix: 16,50 €, 225 p., Sortie: 30 août, ISBN: 978-2-8236-1277-6

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