Le 9 juin 2011, la Cour de cassation s’est prononcée sur la divulgation post mortem de la correspondance amoureuse de René Char. La veuve et exécutrice testamentaire du poète s’oppose en effet à l’édition de vingt ans de correspondance entre celui-ci et sa compagne, Tina Jolas. Or, après avoir perdu en première instance, les héritiers, dont le fils à l’origine du projet, ont obtenu gain de cause devant la Cour d’appel de Paris, le 4 décembre 2009. Les magistrats ont alors estimé que « l orsque la personne investie du droit de divulgation post mortem , qui ne dispose pas d’un droit absolu, mais doit exercer celui-ci au service des œuvres et de leur promotion, conformément à la volonté de l’auteur, s’oppose à cette divulgation, il lui incombe de justifier de son refus en démontrant que l’auteur n’entendait pas divulguer l’œuvre en cause et que sa divulgation n’apportait aucun éclairage utile à la compréhension et la valorisation des œuvres déjà publiées  ». La Cour de cassation, sans trancher sur l’affaire proprement dite, a estimé en revanche que la cour d’appel avait renversé la charge de la preuve : en clair, en l’absence de dispositions explicites, c’est à ceux qui veulent publier les inédits de démontrer en quoi cela est possible, malgré l’avis négatif du titulaire du droit moral. Une nouvelle cour d’appel devra donc restatuer, puisque l’arrêt précédent a été cassé le 9 juin. Pour mémoire, l'article L. 121-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur « a seul le droit de divulguer son œuvre » et « détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci ». Le droit de divulgation, c’est donc le pouvoir pour un auteur de décider seul de la part de son œuvre qui mérite d’être publiée. Aucun éditeur ne peut s’emparer du manuscrit, pour passer outre la faculté que l’écrivain possède de considérer tel ou tel texte comme indigne de sa bibliographie officielle. Cet attribut du droit moral ne doit pas être pris à la légère. Il a ainsi été jugé par la Cour de cassation, le 25 février 1997, que la production d’un manuscrit inédit en justice constituait une divulgation de l’œuvre et donc une violation du droit moral… Et le Tribunal de grande instance de Paris a rappelé, le 21 septembre 1994, qu’une autorisation de consultation d’archives inédites ne permet pas au chercheur de divulguer en librairie l’œuvre ainsi découverte. Le droit de divulgation s’étend jusqu’aux conditions de la divulgation. C’est ainsi qu’un auteur peut invoquer ce droit moral pour refuser une exploitation sur certains supports. Le 13 février 1981, la Cour d’appel de Paris a jugé, à propos de portraits représentant Jean Anouilh, que si le photographe « avait autorisé Paris-Match à divulguer les cinq photos en cause dans son magazine, il n’a jamais autorisé TF1 à les divulguer par la voie de la télévision »… Perpétuel comme tous les droits moraux, et franchissant donc la frontière du domaine public, le droit de divulgation est transmissible par voie successorale. Aux termes de l’article L. 121-2 du Code de la propriété intellectuelle, « après sa mort, le droit de divulgation de ses œuvres posthumes est exercé leur vie durant par le ou les exécuteurs testamentaires désignés par l’auteur. À leur défaut, ou après leur décès, et sauf volonté contraire de l’auteur, ce droit est exercé dans l’ordre suivant : par les descendants, par le conjoint contre lequel n’existe pas un jugement passé en force de chose jugée de séparation de corps ou qui n’a pas contracté un nouveau mariage, par les héritiers autres que les descendants qui recueillent tout ou partie de la succession, et par les légataires universels ou donataires de l’universalité des biens à venir  »…. Bref, il y a toujours quelqu’un pour veiller au grain. Et l’abus de l’usage ou du non-usage de ce droit est prévu au même code et sanctionné en justice ! C’est pourquoi l’exercice post mortem du droit de divulgation a d’ailleurs donné lieu à quelques-unes des plus retentissantes affaires juridico-littéraires. La Cour d’appel de Paris a ainsi sanctionné, le 24 novembre 1992, la publication des cours de Roland Barthes. Les séminaires de Jacques Lacan ont été examinés par le Tribunal de grande instance de Paris, le 11 décembre 1985. À son tour, le 24 janvier 2001, la Cour d’appel de Toulouse a débouté les ayants-droits d’un écrivain espagnol, qui tentaient de s’opposer à la sortie en France d’un roman dont l’auteur avait de son vivant autorisé la traduction. On l’aura compris, mieux vaut laisser derrière soi un testament explicite sur le devenir de ses tiroirs ou de sa correspondance, pour éviter une guerre assurée entre ses différents survivants aux intérêts souvent divergents.

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