Disparu il y a dix ans le 3 septembre, Denis Roche aura laissé une empreinte durable. Le monde du livre le connaît comme éditeur, comme poète, comme traducteur, notamment d’Ezra Pound. Moins connu, le grand photographe qu’il fut tout autant.
« Laissons aux photos d'être des ricochets, et aux phrases d'être des poursuites » Denis Roche
En témoigne le banquet de signatures peuplant l’ouvrage Denis Roche. Dans les plis du temps. La collection « Fiction & Cie » — qu’il a créée en 1974 — présente ainsi « un défilé de moments, de circonstances, de fulgurances ». Avec une cinquantaine de photographies et la contribution d’une trentaine de compagnons de route, comme Gilles Mora, Alain Bergala, Catherine Millet, Françoise Peyrot, Clément Chéroux, Bernard Comment, Claire Paulhan, Jean-Luc Monterosso, Hubert Damisch, Josyane Savigneau, Dominique Païni, Maryline Desbiolles, Sylvain Besson ou Bernard Plossu. Ces images commentées, analysées, décryptées, les approches, les anecdotes, les mises en regard qui font la singularité d’une œuvre restant, pour beaucoup, à redécouvrir.
Pour le critique et réalisateur Alain Bergala, ces clichés « nous disent quelque chose d'une fonction première de la prise : repérer, à un moment donné, où l'on en est de sa propre navigation dans le monde. (...). L’image est la trace émouvante de ce repérage plus que de la réalité de ce morceau provisoire du monde où l'on est de toute façon “de passage”. »
L’historien de la photographie qui dirige la Fondation Henri Cartier-Bresson, Clément Chéroux, décrypte les « allers et retours dans la chambre blanche » tels que les définissait l'auteur. « C’est en ces termes que Denis Roche décrivait la déambulation au sein de l’image à laquelle il aimait s’adonner en duo lorsqu’il voyageait à l’étranger et tentait de s’approprier, ou peut-être simplement d’habiter, un lieu qu’il ne connaissait pas encore. »
« Plus je regarde les photographies de Denis Roche et plus je me retrouve dans un face-à-face avec la vie, cette vie qu’il savait apprécier intensément, qualifiant d’immenses et d’intenses jubilations les plaisirs qu’il ressentait quand il écrivait, photographiait ou bien même éditait, confie Guillaume Geneste, tireur de ses photos, qui signe le commissariat de l’exposition accompagnant l’hommage au photographe. Regarder les photographies de Denis Roche, c’est pour moi comme regarder celles de Bernard Plossu ou de Robert Frank ; car toutes, je dis bien toutes, ses photographies me donnent une furieuse envie de vivre et de photographier. »
La diversité des contributions rassemblées compose un kaléidoscope de mots et d’images nous laissant entrevoir une pensée singulière qui ne cesse de s’interroger. La conclusion revient à Denis Roche, qui répondait à une question de Gilles Mora : « Laissons aux photos d’être des ricochets, et aux phrases d’être des poursuites. »
Du travail d’éditeur à celui de photographe il n’y a sans doute qu’un pas, que peu ont franchi.
