Avant-critique Essai

Ivan Jablonka, "Goldman" (Seuil)

Ivan Jablonka - Photo © Bénédicte Roscot

Ivan Jablonka, "Goldman" (Seuil)

Jean-Jacques Goldman est invariablement la personnalité préférée des Français. Ivan Jablonka enquête et dit de quoi cette popularité est le nom.

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Par Sean Rose
Créé le 21.07.2023 à 09h00 ,
Mis à jour le 21.07.2023 à 17h40

Toujours au top. Jeune, Ivan Jablonka écoutait plus volontiers Renaud ou Gainsbourg. Mais en tant qu'historien s'intéressant à la chanson de variété comme phénomène du collectif, c'est Jean-Jacques Goldman qui attire toute son attention. La popularité, jamais démentie année après année, du chanteur de Quand la musique est bonne fascine l'auteur de Des hommes justes.

Dans son nouveau livre, Goldman, Jablonka rappelle ce paradoxe : fin 2022, l'artiste éponyme est élu pour la douzième fois « la personnalité préférée des Français », or Jean-Jacques Goldman s'est retiré de la scène depuis vingt ans ! Comment l'expliquer ? Pourquoi tant d'amour, d'admiration pour une célébrité qui brille par son absence ? Justement par cette discrétion qui s'efface jusqu'à la disparition. Mais l'interprète, auteur-compositeur de tubes pour lui-même comme Puisque tu pars, ou pour d'autres comme Laura (Johnny Halliday) ou Pour que tu m'aimes encore (Céline Dion), est loin d'avoir disparu du cœur des Gaulois pas si réfractaires que ça au succès d'autrui. Parce que Goldman, c'est une autre manière d'être une star. Son look : plutôt lisse, rock mais poli ; ses idées : progressistes et pondérées, c'est le guy next door à la française, un mec bien qui a réussi, mais n'a qui n'a pas pris le melon, encore mieux, qui a le cœur sur la main. Il est associé dans l'esprit des Français aux concerts des Enfoirés, ces artistes chantant ensemble pour l'association de Coluche Les Restos du Cœur. Jean-Jacques Goldman, c'est aussi une certaine idée de la France. Ce fils de petits commerçants, qui a grandi en banlieue parisienne, d'origine immigrée (des juifs de Pologne), symbolise l'intégration républicaine et la méritocratie, quand l'ascenseur social marchait... Un parcours et des origines similaires à celui de la famille de l'auteur d'Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus. Au-delà d'une carrière allant du loser (un premier direct cauchemardesque chez Drucker) à l'hyperstar humaniste des années fric à la retraite anticipée, Jablonka brosse le portrait en creux d'un pays, avec une manière qui lui est propre, entre histoire du fait social et narration subjective d'un destin singulier, et qui lui valut le prix Médicis grâce à Laëtitia (Seuil, 2016). À travers Goldman, l'historien dessine également la figure d'une certaine gauche. Père communiste, frère à l'ultragauche (le militant notoire Pierre Goldman), Jean-Jacques, à la fois mainstream et défenseur des minorités, incarne quant à lui la social-démocratie. Symptôme de ces temps communautaires : « La péremption du modèle franco-juif, la surexposition des uns sur les réseaux sociaux et le sectarisme des autres au cœur de nouvelles luttes [...] condamnent au silence l'homme qui ne voulait être ni un mage de son image, ni un héraut de son identité. » La silhouette de Goldman est aujourd'hui aussi évanescente que cette gauche modérée est fugitive.

Ivan Jablonka
Goldman
Seuil
Tirage: 35 000 ex.
Prix: 21.90 € ; 400 p.
ISBN: 9782021526752
21.07 2023

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