Une rondeur bonhomme que dément l’œil qui frise : c’est l’image qu’on retiendra de Jack-Alain Léger, l’écrivain maudit et protéiforme, polygraphe et génial, avant que sa tendance dépressive ne l’écrase. L’auteur du passionnant Autoportrait au loup et du best-seller Monsignore s’est donné la mort le 17 juillet dernier, à l’âge de 66 ans, en se jetant du huitième étage de son appartement.
Egalement musicien et traducteur (de Tolkien et de Bob Dylan notamment), l’écrivain s’est toute sa vie exercé aux genres les plus différents avec brio, du roman d’aventures à l’essai introspectif, en passant par le pamphlet ou le roman expérimental, le feuilleton ou le polar, multipliant dans le même temps les pseudonymes (Melmoth, Dashiell Hedayat, Eve Saint-Roch), le plus connu étant Paul Smaïl avec lequel il s’était plu à piéger la critique.
En 2003, au moment de la parution chez Denoël d’On en est là dans lequel il révélait que Jack-Alain Léger et Paul Smail ne faisaient qu’un, l’auteur de Vivre me tue avait expliqué dans un entretien à Livres Hebdo (1) ce qui le poussait à multiplier les masques : « C’est la seule liberté qui nous reste dans une société de plus en plus normative, consensuelle, conformiste. La liberté d’avoir le courage de jouer avec sa propre identité. » Don Quichotte des temps modernes aux multiples moulins à vent (la critique littéraire, les éditeurs, la télévision et tous les puissants en général), il répétait déjà il y a dix ans la célèbre formule du héros de Cervantes « Je sais qui je suis », qui clôt sa lettre d’adieu à son tuteur, l’avocat Emmanuel Pierrat. C. F.
(1) LH 499, du 31.1.2003, p. 72.